Sardaigne


 

L'île indomptée
Je suis allé en Sardaigne en Novembre 2000 dans le but de rechercher des paysages naturels et sauvages, exempts de toute présence humaine, de toute trace de culture et de civilisation. Je me suis concentré sur le Nord et plus particulièrement sur l’Est réputé pour son caractère sauvage. A cela une raison historique : les invasions incessantes des pirates et des envahisseurs étrangers venus de l’Est, Phéniciens, Romains, Vandales, Byzantins, Arabes ont amené les habitants de l’île à se réfugier à l’intérieur des terres, abandonnant les côtes aux marécages, aux moustiques et à la malaria qui est restée endémique jusqu’à la 2nde guerre mondiale. Vivant sur les bords de la Méditerranée, je ne me lasse pas de la mer, non pas de la haute mer, mais des côtes, car je ne connais rien de plus dramatique et de plus vivant en même temps que cette rencontre où vagues et rocs s’affrontent, parfois en de tempétueuses épousailles.

Le spectacle est toujours beau, quelquefois grandiose. De la pointe Nord à l’extrême Sud, la Sardaigne s’étale à vol d’oiseau sur 320 km environ. La plupart du temps les routes ne longent pas le littoral mais suivent des vallées sinueuses, bien à l’abri à l’intérieur des terres. Ceci, conjugué à la situation de cette île, bien particulière, ne pouvait qu’être prometteur. De fait, au cours de ce voyage, la lumière d’hiver fut changeante, avec des ciels chargés, produisant des effets dramatiques et intenses, comme je les aime. L’air y est d’une pureté extrême - on est loin de toute pollution - et le vent qui souffle presque en permanence sur les côtes contribue à nettoyer les ciels de toute trace de brume. Un paradis pour le photographe !

Les routes sont en bon état mais sinueuses et parfois étroites. Il ne faut pas compter les distances en kilomètres mais en heures de route. 50 km peuvent demander 1h et 1/2 de route, voire plus. Passant le plus clair de mon temps dans la nature, par définition, j’ai eu assez peu de contacts avec la population. Mais autant que j’ai pu en juger, je l’ai trouvée aimable, accueillante, empreinte d’une certaine gravité - probablement due à l’isolement consécutif à son insularité - honnête et responsable. Les Sardes sont très prudents sur la route, ce qui n’est pas le cas du Sud de l’Italie en général. J’avais emporté avec moi le livre de D.H. Lawrence “Sardaigne et Méditerranée” (Gallimard) qui relate le voyage que fit l’auteur dans l’île, avec sa femme, en 1921. Mais il ne m’a été que de peu d’utilité car l’écrivain y décrit surtout le Sud, la région de Cagliari et le centre - Sorgono, Nuoro - par le petit train à vapeur, l’actuel Trenino Verde, régions où je ne suis pas allé. De plus, Lawrence voyageant en train avait tendance à n’évoluer que de gare en gare et de ville en ville, ce qui n’est pas mon fort (je fuis les villes). Les Sardes dont je parle sont ceux des villages ou des petites bourgades et peut-être sont-ils différents dans les villes, je l’ignore. Néanmoins D.H. Lawrence fait quelques remarques que j’ai retenues : “Les Romains ni les Phéniciens, les Grecs ni les Arabes ne purent soumettre la Sardaigne. Elle est à part : en dehors du circuit de la civilisation (...) Il existe toujours une Sardaigne indomptée. Elle se trouve dans le filet de cette civilisation européenne, mais jusqu’à présent, elle n’est pas prise. Et puis le filet, déjà vieux, se désagrège. Nombre de poissons glissent entre les mailles de la vieille civilisation européenne”. Et ceci où il compare les paysages de la Sardaigne à ceux de l’Italie : “La Sardaigne est tout autre. Beaucoup plus vaste (...) elle s’étale à l’infini (...) Cela donne un sentiment d’espace dont on est tellement privé en Italie. Le merveilleux espace autour de soi, les distances traversées ... rien de fini, rien de final. C’est la liberté même.

Pour ce que j’en ai vu, 80 ans plus tard, je le confirme - à ce point de vue - les choses n’ont pas changé de manière trop dramatique. Même la Costa Smeralda, la Côte d’Emeraude, réputée pour avoir été bétonnée sous l’égide de l’Aga Khan et de la société huppée à partir des années soixante n’a rien de comparable à la Côte d’Azur à laquelle on la compare parfois. Ici le béton se colore et tache de se faire discret, les plages restent accessibles. Bien sur, le mois de Novembre n’est pas la pleine saison et je ne sais pas ce que cela donne en Juillet-Août. Mais outre la populace baignant dans l’huile solaire et les concerts de klaxons je ne vois pas en quoi la Sardaigne doit beaucoup différer de ce que j’en ai vu.

 

Des paysages sauvages

Pour tout viatique je n’ai emmené que deux photos recueillies l’une dans un magazine, l’autre dans une brochure publicitaire. La première, je l’ai compris par divers recoupements, était Tavolara, une île pyramidale à l’Est de la Sardaigne tout à fait étonnante; la seconde représentait une arche naturelle au fond d’une crique, mais - dépourvue de légende - j’en ignorais le nom, et donc l’emplacement. Ces deux sites étaient d’une grande beauté et je m’étais dit qu’il serait intéressant de m’y rendre et si possible, bien entendu d’essayer de trouver d’autres sites dans la même veine.

Nous sommes partis avec Marie-Paule, qui m’a accompagné pour la moitié du voyage, avec notre propre voiture, à partir d’Ajaccio, par la petite route qui descend jusqu’à Bonifacio. La traversée des Bouches de Bonifacio ne fait qu’une vingtaine de km mais dure une bonne heure. Le bateau, plutôt rustique (sous la peinture blanche de la coque on peut deviner son ancien nom scandinave ...) fait son bonhomme de chemin, tranquillement. De l’autre côté, on arrive à Santa Teresa di Gallura, gros village assez sympathique qui se distingue par sa rue principale, de laquelle partent de fines venelles, ce qui ne manque pas de le faire ressembler à une ... arrête de poisson.

Tout près, vers l’Ouest, se trouve le Capo Testa, le cap de toutes les tempêtes.



 


        

Ici, la mer et le vent ont sculpté les granits les plus durs pour donner naissance à des formes fantastiques. Il faut descendre dans ces gargouilles énormes, ces marmites de géant où l’eau s’engouffre avec fracas, en continuant à user la roche avec une infinie patience. On est dans une conque gigantesque, aux pieds d’un éléphant de la taille d’une maison, sous la menace d’une trompe qui défie les lois de la pesanteur. En face, ce sont les blanches falaises de Bonifacio, la Corse, la France, et tout paraît déjà si loin dans ce monde surréel, dans ce dédale étrange.

Soudain le ciel s'obscurcit et prend rapidement des allures de fin du monde. J'ai le temps de faire une photo, d'abriter l'appareil, puis c'est un déluge d'eau et de grêle qui s'abat sur nous. Nous regagnons la voiture en courant, à une demi-heure de là, trempés jusqu'à la moëlle. 



        

En descendant vers le Sud par l’Est, nous avons tourné un moment autour d’Olbia parceque je cherchais ce fameux point de vue sur l’île de Tavolara. Armé de ma carte au 1/250.000 ème j’ai examiné tous les caps susceptibles de nous approcher le plus possible de cette île triangulaire. Peine perdue. En revanche nous avons trouvé d’autres sites d’une grande beauté avec des eaux d’une limpidité extraordinaire et un ressac qui n’était qu’un léger frémissement sur le sable blond, avec Tavolara - toujours, mais sous un autre angle - en arrière-plan.

En fait, Tavolara, telle que je la cherchais me sera donnée presque par hasard, la veille de mon retour, tandis que je passais par une route que je ne connaissais pas. Tavolara m’est apparue comme je l’avais toujours souhaitée, triangulaire, comme un mont jaillissant de la mer sous un soleil qui jouait avec les nuages produisant un éclairage fantastique.

Je trouve d’abord une plage de sable blanc, puis une zone de rochers rouges bordés de plantes grasses. L’endroit est magnifique. Le ciel est lourd avec des trouées de bleu. Comme par magie, le soleil tombe juste sur Tavolara en un rai mystérieux qui la fait ressembler à un pic enneigé, tant elle est blanche. Plusieurs mois après, souvent lorsque je m’endors, je revois ces paysages magnifiques, tant je les ai admirés, tant ils se sont gravés en moi, au fond de ma rétine, au fond de mon cerveau. Je suis heureux d’avoir pu les enregistrer sur la pellicule, et de pouvoir, maintenant, faire partager ces moments merveilleux.

 

A la recherche de Goloritzé

A Isola Rossa, au Nord de l’île, au moment du crépuscule, sur le tourniquet d’un bistrot qui allait fermer boutique en raison de l’heure tardive, Marie-Paule a pioché quelques cartes postales aux eaux turquoises. Parmi elles, je l’ai reconnue immédiatement, l’arche naturelle que je cherchais. Au dos était inscrit son nom : Cala Goloritzé ! Le nom ne m’était pas totalement inconnu, mais je ne parvenais toujours pas à en situer l’emplacement. D’après le marchand cela devait se trouver plutôt sur la côte Est de la Sardaigne. Lorsque Marie-Paule est rentrée en France, j’ai continué tout seul vers le Sud, en passant par la côte Est avec cette idée - un peu - obsédante : essayer de trouver l’emplacement de Goloritzé. A cette époque de l’année tous les Offices du Tourisme sont fermés. A Orosei, je demande à la receptionniste de l’hôtel si elle connait Goloritzé. Elle pense que ce ne doit pas être loin de Cala Gonone. Ma carte indique cette crique dans le golfe d’Orosei. Après avoir passé la matinée au Capo Comino à photographier les dunes de sable d’une extrême blancheur, je tombe sur un berger qui garde son troupeau de chèvres au bord de la plage devant son 4x4 et qui me dit - méditatif - (en italien) “L’Italie a complètement abandonné la Sardaigne ...”, puis sur un vieil homme, boucher en été, maçon en hiver, lui aussi me confirme que Goloritzé doit se trouver dans le secteur de Gonone. Aussi, dans l’après-midi ayant emprunté l’Orientale Sarde, cette route spectaculaire taillé dans le rocher au XIXème siècle par des “étrangers”, marchands de charbon du Piémont, longeant les sommets du Parc National du Gennargentu, lorsque je trouve un panneau indiquant, sur la gauche, la direction de Cala Gonone, à 1 km, après un tunnel de 400 m. je n’hésite pas. Il faut y aller voir. A la bifurcation, trois jeunes gens, un garçon et deux filles font de l’auto-stop. Je m’arrête. Je fais un peu de place dans le break et nous réussissons à caser tout le monde, y compris les trois énormes sacs à dos dont ils sont équipés. Ce sont des Australiens, Doug, Kate et Jane venus faire de l’escalade en Sardaigne. Doug est guide de haute montagne. Je les dépose au petit port de Cala Gonone. Leurs sacs à dos sont affreusement lourds, particulièrement celui de Doug qui doit avoisiner les 40 kg. C’est qu’ils ont entassé là tout leur matériel : cordes, pitons, tente, etc. Je leur montre à tout hasard la carte postale de Goloritzé. Ils trouvent ça beau mais ne connaissent pas.

Je vais explorer les environs, au Nord et au Sud, jusqu’au terminus de la route. Le temps est superbe. Je fais quelques photos de plages et de criques aux eaux limpides. La-haut dans la montagne il y a une petite route qui grimpe. Peut-être jouit-on d’en haut d’un bon point de vue et peut-être pourrais-je repérer, aux jumelles, l’arche de Goloritzé ? Au sommet je ne trouve qu’une bande de joyeux chasseurs rentrant de leur journée. Je m’aventure un peu dans le maquis en direction de la mer. Derrière un rocher, un berger surveille son troupeau. Je lui demande s’il connait Goloritzé. Il me montre vaguement la direction du Sud en ajoutant qu’il faut prendre “la barca”.

Mes maigres connaissances en Italien ne me permettent pas de poursuivre la conversation. Retour au petit port de Gonone. Plusieurs baraquements, fermés à cette époque de l’année, proposent des excursions en bateau jusqu’aux différentes criques du golfe d’Orosei. Sur l’un de ces baraquements, une grande carte décolorée par le soleil me permet enfin de localiser Goloritzé : juste au Sud de la Punta Caroddi qui, elle, est bien mentionnée sur ma carte. Direction Baunei, par l’Orientale Sarde. Tout en roulant je tache de repérer un chemin qui descendrait vers la mer jusqu’à Goloritzé. Je ne trouve rien de convaincant.

Enfin à Baunei, miracle !

Un panneau, tout simple, au bord d’une petite route qui monte, indique la direction de Punta Goloritzé ! Aucun des guides de Sardaigne ne le mentionne, ni celui publié par Hachette (guide Voir), ni le Lonely Planet consacré à l’Italie, qui dit laconiquement que “la plage de Baunei est très belle”, ce qui n’avait manqué de m’interpeler car Baunei se trouve à une dizaine de km de la mer, à vol d’oiseau ... Je le précise donc ici : pour aller à Goloritzé, il faut d’abord se rendre à Baunei. Du village part une petite route qu’il faut suivre pratiquement jusqu’au bout vers le Nord, soit à peu près 5 km. Ensuite, sur la droite, un panneau indique le site et c’est une piste de terre assez carrossable qu’on peut emprunter en voiture pendant 1/4 d’heure environ. On arrive à un terre-plein sur lequel se trouve une buvette, ouverte à la belle saison. De là, il faut compter à peu près une heure de marche par un chemin pierreux, très bien entretenu, pour descendre jusqu’à l’arche. L’endroit est magnifique, sauvage, désertique.

L’eau y est d’une couleur exceptionnelle, le sable blanc. C’est (un peu) le bout du monde. A cette époque de l’année il n’y a absolument personne, ni par la terre, ni par la mer. J’y ai passé une journée splendide.

A Baunei, miracle !

 

Des lumières fantasques

Quelques jours plus tard je suis allé à la Codula di Luna et je n’en dirais pas autant. J’ai été un peu déçu. L’accès en est plus difficile, c’est la crique réputée pour être la plus inaccessible de la côte Est. Ce pourquoi je voulais y aller. A partir de l’Orientale Sarde, un peu avant Urzulei (en venant de Baunei) il faut s’engager dans la petite route qui descend par une étroite vallée (un panneau indique la direction de la Codula Luna à partir de l’Orientale). On passe la ferme de Teletottes, à 13 km, puis au bout de quelques km la route s’arrête. De là, il faut compter 4 h. de marche (5 pour le retour) tantôt en forêt tantôt dans le lit de la rivière à sec. Au final, Cala Luna est une sorte de gigantesque falaise qui tombe dans la mer. L’endroit est certes sauvage et désert, ce qui est un enchantement, mais la mer n’a pas la couleur de Goloritzé et je ne sais pas si le spectacle vaut bien ces 9 h. de marche.

 

 

 

 

 

 

 

 

Un autre lieu que je voulais voir sur la côte Est était Arbatax. La petite ville, par elle-même, est assez banale, plutôt industrielle. Mais au-delà de la ville, après le port, commencent les rocche rosse, un massif particulier qui dresse ses pinacles de porphyre déchiqueté sur une assise de granit bleuâtre. L’ensemble est assez fantastique, tant au niveau des formes qu’au point de vue des couleurs. Et puis il y a la mer toujours, et un ciel immense.

Enfin le Capo Ferrato, plus au Sud, vaut le détour. L’endroit est sauvage et il n’y a aucune trace de civilisation à des lieues à la ronde, ce que j’apprécie abondamment.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

J’ai crapahuté toute la journée au milieu des rochers, trouvant quelques passages empruntés par les bergers et leurs troupeaux. A un sommet se trouve un rocher percé d’une “fenêtre” donnant sur la mer, un lieu - abrité du vent - où les bergers viennent rêver du grand large et d’horizons lointains. En bas, les vagues jouent avec les rochers et le varech.

A la tombée du jour j’y ai bénéficié d’une belle lumière, assez fantasque, qui a quelque chose de polaire

Au total la côte Est de la Sardaigne est une bien belle région pour ceux qui aiment la nature et les paysages sauvages. L’île, dans son ensemble, recèle des trésors de beauté. J’y retournerais certainement, car beaucoup de choses restent encore à découvrir.

 

 

 

 

Technique photo : Au cours de ce voyage j’ai utilisé un Hasselblad avec un 80 et un 250 mm ainsi qu’un Nikon FM2, avec un 24 mm et un 70-300. Pour le 6x6 j’ai employé de la Fuji Velvia et pour le 24x36 de l’Ektachrome 100, ExtraColor, dont j’aime beaucoup le rendu saturé, particulièrement en hiver. Chaque fois que cela est possible j’utilise mon trépied Slik Able 300 DX dont la légèreté est appréciable en randonnée.

 

Photos de Sardaigne
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