Estérel


 

L'exemple du parc du Yellowstone

En 1871, aux Etats-Unis, une expédition géologique dirigée par Ferdinand V. Hayden explore les merveilles du Yellowstone, dans le Montana. Parmi les membres de l'équipe se trouvent un jeune peintre Thomas Moran et un photographe de paysages, W.H. Jackson. Le but de l'expédition : fournir aux membres du Congrès, qui siègent à Washington, des pièces à conviction visuelles, pour les convaincre - eux qui ne peuvent faire un déplacement long et difficile - des beautés extraordinaires que recèle cette région. Ceci afin de protéger le Yellowstone de la fièvre minière et affairiste qui s'est emparée des Etats-Unis et voter la protection de cette zone. Jackson, le photographe, a emporté trois chambres grand format, 20x25 cm., à plaques de verre et un laboratoire de campagne monté sous la tente chaque soir. A cette époque, la photographie est exclusivement en noir et blanc. Au peintre, Moran, de traduire sur ses aquarelles les couleurs des paysages magnifiques qui s'offrent à leur vue. De retour à Washington, Hayden présente les photographies et les peintures aux membres du Congrès, médusés. Il demande la protection de la région du Yellowstone. Le 1er Mars 1872, U.S. Grant, le Président des Etats-Unis, signe l'acte officiel de la création du Parc du Yellowstone, le premier parc naturel à être créé au monde. Dans cette histoire, on le voit, la photographie a joué un rôle de première importance pour témoigner et pour convaincre les politiques. Si mes photographies de l'Estérel pouvaient un tant soit peu contribuer à faire évoluer les choses dans un sens aussi favorable, j'en serais infiniment heureux. L'Estérel est menacé par la gangrène immobilière, urbaniste et industrielle. Pendant des décennies, aucune mesure politique sérieuse n'a été prise pour le protéger.  

Ce n'est que tout récemment, en 1999, que l'Estérel a été classé, ce qui a pour avantage de geler les programmes immobiliers. La création du Parc Naturel Régional de l'Estérel est en chantier. La mission a été confiée à l'ARPE (Agence Régionale Pour l'Environnement). Lorsque ce projet aboutira, la voie sera ouverte pour la création d'un Parc National de l'Estérel. Alors, nous serons assurés que les générations futures pourront continuer à venir découvrir ses beautés au fil du temps. L'Abbé Jean-Pierre Papon qui a effectué un voyage dans la région au XVIII ème siècle énumére les poissons qu'on pouvait trouver au large de l'Estérel. Combien d'espèces ont-elles survécu jusqu'à nos jours ?

"Le rouget, l’oculata (sole), la vive, le merlan, le peis rei (poisson royal), le scarus varius ou rouchau, le gerres, le serran, la perche de mer, la dorade, le denti, les anchois (les meilleurs se pêchent dans la mer de Fréjus), les sardines, le mulet ou mujou, la vergadelle, le turbot, le fanfre, le pageau, le tourd, l’esturgeon (qui remonte le Rhône), la pelamide, l’orcyne, le thon, l’empereur ou poisson-épée, le veau marin (qui fait en dormant un bruit semblable

au meuglement des veaux - d’où son nom); aux îles de Lérins on en voit qui s’endorment au soleil, sur les bords de la mer et quand un bruit les reveille, ils poussent un mugissement et se culbutent dans l’eau, le dauphin, le requin, le marteau, le serpent de mer, la murène, le silat (congre), le spondile ..." (Voyage de Provence. Ed. La Découverte, 1984).

Pour beaucoup de ces espèces nous en ignorons jusqu'au nom. Tant qu'il en est encore temps sauvons ce qui peut encore être sauvé. Puissent mes photos contribuer à la prise de conscience à tous les niveaux, grand public ou responsables, que l'Estérel est une région présentant des paysages aux caractéristiques uniques en France et que ses beautés méritent enfin d'être préservées.

 

 

 

Un jardin secret

La Côte d'Azur est mon port d'attache. J'y vis à peu de distance de l'Estérel. Il me faut environ une heure de route pour me retrouver plongé au coeur de la zone la plus sauvage. Beaucoup de visiteurs viennent, parfois de très loin, pour retrouver une certaine Côte d'Azur, celle des dépliants des agences de voyages. Je n'aime ni les agglomérations surpeuplées, ni les buildings du bord de mer, ni les palaces au charme suranné. Si je vivais en Californie, sans doute aimerais-je le désert de Mojave. J'aime l'Estérel. Je l'ai découvert par une sorte de supposition écologico-photographique. Et si l'Estérel constituait encore une espèce de hâvre de paix, un refuge pour amoureux du naturel, une enclave dans une civilisation dévorante ? Peut-être, pourrais-je essayer de traduire mes visions en photographies pour inciter à la visite, à la découverte, ou pour servir de témoignage à ceux qui sont loin et qui n'auront pas l'occasion de venir ? Des échappées belles sur la Côte, il y en a. Il suffit de pousser vers le Nord, dans ce qu'on appelle l'arrière-pays. On y trouve de vieux villages, agrippés au rocher comme des serres de rapaces, de fraîches ruelles, des fontaines sonores, et partout autour des restanques où l'on bat les oliviers, des potagers généreux et des vallées profondes que parcourt la sauvagine. En levant les yeux, plus haut, on aperçoit les sommets enneigés du Mercantour. La vraie montagne. Pour s'y rendre, il faut en passer par cet étage intermédiaire de la moyenne montagne, l'arrière-pays. La Côte est ainsi faite : un bord de mer surpeuplé, un arrière-pays d'altitude moyenne et moyennement peuplé, les Alpes et ses sommets qui culminent à près de 3000 m. quasiment désertes, où les gens sont si rares que lorsqu'ils se croisent sur les chemins ils se saluent et prennent même le temps d'échanger quelques mots.

Paradoxe des paradoxes, l'Estérel est enserré dans la bande côtière. Désert de roches rouges, on y trouve pourtant la solitude de la haute montagne et ce, à seulement quelques encablures de Fréjus, Saint-Raphaël ou Roquebrune sur Argens. Pourquoi ? Vraisemblablement parceque sur ses hauteurs il ne pousse rien. Les Romains avaient très vite constaté le fait. Ils avaient nommé l'endroit sterilis, d'où a dérivé le nom moderne d'Estérel (le nom d'une tribu celto-ligure les Suelteri qui occupaient la région voisine des Maures a peut-être aussi exercé son influence sur cette dénomination). Hormis sur ses contreforts où s'est déposée une maigre terre qui permet la culture de vignes et bien entendu dans les plaines, les hauteurs deviennent très vite arides. Muni de cette hypothèse (écologico-photographique), je suis donc parti un jour sur les sentiers de l'Estérel. J'ai été surpris du contraste. Si près de la civilisation, de ses routes, de ses villes engorgées j'ai trouvé le silence, une nature intacte, un soleil presque omniprésent, une mer étincelante et une vue qui porte au-delà de l'horizon. Ces impressions, je ne les partageais pas avec les visiteurs déversés par autobus entiers en des lieux balisés, reconnus, où les conduisent les loisirs organisés. Je trouvais des chemins que plus personne n’empruntait depuis bien longtemps. Des chemins modestes, qui ne sont pas classés, que le temps, les usages immémoriaux, les bergers et les troupeaux ont gravé aux flancs des collines. Ces chemins de l'ancienne sagesse. Tant de découvertes à faire en si peu d’espace, une sorte de microcosme, presque un monde intérieur. Un jardin extraordinaire si méconnu qu’il pourrait être un jardin secret. Un jardin clos à l’image du paradis. Clos par la mer au midi, par les routes qui l’encadrent, par les Maures au couchant, par les plaines du Var à l’Orient. Frère Antoine, ermite des temps modernes, vivait il y a encore quelques années dans le rocher-montagne de Roquebrune.

De sa grotte, par une anfractuosité de la roche, on peut apercevoir en contre-bas, l'autoroute sur laquelle circulent, dans les deux sens, des milliers de voitures aussi minuscules que des modèles-réduits, et silencieuses, car là-haut aucun bruit de la civilisation ne parvient à s'élever. Où courent-ils donc tous ces automobilistes pressés et ces camions qui livrent leurs marchandises ? Tout à leurs affaires et à leurs soucis, ils ignorent que l'Estérel qu'ils traversent les yeux rivés au compteur est un jardin secret où poussent lentement la ciste, la lentisque, la myrte, l'arbousier, l'asphodèle et le calycotome. Ils en ignorent les senteurs de romarin, la fraîche ombrelle des chênes verts au midi, le bruissement des sources. Il n'ont pas vu la salamandre tachetée se faufiler dans les cailloux, le lézard ocellé niché dans les creux, la vipère sauvage alanguie au travers des chemins. Leur coeur ne s'est pas emballé à l'envol ébouriffé de la perdrix rouge. Ils n'ont pas plissé des yeux dans le soleil pour suivre les tournoiements majestueux du rapace circaète Jean-le-Blanc. lls n'ont pas entendu résonner le brâme du cerf élaphe le long des vallées. Ils ignorent qu'à celui qui se donne la peine d' en arpenter les sentes, ses rochers tourmentés et âpres lui feront faire une bien étrange découverte dans le temps. Des roches aux formes extravagantes, aux couleurs de feu, qui se sont figées lorsque les entrailles de la terre se sont entrouvertes pour laisser s'échapper la lave en fusion qui s'est épanchée dans la région. C'était il y a environ 300 millions d'années. C'était hier.

 

L'Estérel peut être circonscrit au sens restreint, géographique ou au sens large, géologique. C'est cette seconde vision que j'ai adopté. J'ai retenu l'Estérel en tant que système géologique. Cela signifie que j'ai inclu dans mon travail le Rocher de Roquebrune, excentré vers l'Ouest, mais aussi Pennafort, au nord du Muy, dont les gorges appartiennent au même système que celles du Blavet, dans la région de Bagnols-en-forêt. Alors que la géographie limite l'Estérel à Cannes-Mandelieu à l'Est et à Fréjus à l'Ouest, il semble logique de considérer la rivière Argens comme la limite naturelle Ouest entre l'Estérel et les Maures. Lorsqu'il y a 300 millions d'années les volcans ont vomi leur lave, cela a donné lieu à des résurgences relativement bien différenciées les unes des autres : le massif dit de l'Estérel (Pic de l'Ours et Pic du Cap Roux), le Rocher de Roquebrune, la zone de Bagnols-en-forêt avec ses massifs du Rouet et de Malvoisin. Entre ces zones où chacun reconnaîtra les caractéristiques bien typées de l'Estérel, la civilisation et l'urbanisme ont prospéré dans les plaines. A tel point que si je devais accompagner des visiteurs pour leur faire découvrir les plus beaux sites de l'Estérel, il faudrait louer un mini-bus dont les vitres soient obturables à volonté par des rideaux opaques lors de la traversée de ces ramassis d'horreurs :

banlieues industrielles, centres commerciaux, routes, voies ferrées, autoroute, toutes choses dont j'ai honte qu'on les ait laissé proliférer anarchiquement. Le progrès ? Il faut bien qu'une région se développe, rétorquera-t-on. Imaginons seulement, alors, la magnifique chaîne des Puys, dans le massif central, environnée de toute cette urbanisation comme on l'a laissé faire pour l'Estérel. Le Cantal aussi a le droit de se développer, mais pas à n'importe quel prix. Parmi toutes ces abominations, j'ai tenté de me frayer un chemin pour photographier un Estérel idéal. J'ai dû parfois employer des ruses savantes pour ne pas cadrer cet affreux poteau télégraphique en béton, cette ligne de haute tension qui raye le ciel, ce relai de téléphonie mobile fièrement planté comme un totem. Néanmoins, je me suis refusé à toute intervention numérique sur l'image. Ce que j'ai photographié, tout le monde pourra le voir, tel quel, sur le terrain. C'est l'Estérel tel qu'il existait au XIX ème siècle ou au cours des siècles précédents lorsque les anachorètes et les brigands s’y réfugiaient et que la maréchaussée n’osait s’y aventurer. Cet Estérel idéal existe, j'en témoigne.

 

 

Le feu du magma

En empilant les ères, les géologues jonglent négligemment avec les millions d'années : tragiquement, nos vies n'en paraissent que plus courtes. Je ne connais rien à la géologie. Lorsque je suis pieds nus sur les bombes volcaniques rapeuses du bord de mer, chauffées au soleil de midi, je sais - intimement - que c'est hier que la lave s'est déversée. Le temps n'existe plus. Et peu m'importent les classifications des spécialistes. Néanmoins, je me sens comme un devoir de livrer ce que j'ai glané dans les précis de géologie. Ils affirment que c'est vers la fin de l’ère primaire, au Permien, il y a 280 millions d’années, que les phénomènes volcaniques se sont généralisés en Provence et que l'apparition de l'Estérel tel que nous le connaissons aujourd'hui a vu le jour. A cette époque, la surface de la terre n'est peuplée que d'amphibiens et de reptiles. Les dinosaures ne sont pas encore apparus sur la terre. Les premières manifestations volcaniques dans l’Estérel correspondent à des coulées de rhyolite amarante appelée aussi porphyre rouge de l’Estérel. Elles constituent la particularité de cette côte du Trayas à Agay, avec l'éperon du Cap Roux. De nos jours, le promeneur est saisi par le contraste qu'il perçoit entre le vert des forêts, l'incandescence des porphyres qui, dans le soleil couchant, donnent l’illusion de coulées de lave encore flamboyantes, et le bleu intense du ciel et de la mer. Une palette d'une grande beauté. A la fin de cette période d’intense activité volcanique se produit l’effondrement de la partie centrale du massif de l’Estérel. Des vallées se forment avec des lacs. Au volcanisme fissural succède un véritable volcanisme explosif avec la formation de volcans comme ceux de Maure Vieille, de la Baisse des Charretiers et des Collets Redons. Bien avant la fin du Trias, la mer revient (la Provence s'était exondée - surélevée - depuis le Carbonifère, il y a 295 millions d'années) et les eaux commencent à envahir la région.


        

Il y a environ 60 millions d’années, le volcanisme refait son apparition dans l’Estérel avec l’intrusion du fameux “porphyre bleu” décrit par E. Saussure en 1796. La roche, massive, de couleur claire, bleutée ou blanchâtre, a été exploitée dès l’occupation romaine. De nombreuses carrières se sont ouvertes, entre St. Raphaël et Agay et notamment au Dramont. Il y a (seulement) 7 millions d’années, la Provence va subir un énorme cataclysme : elle va basculer dans les eaux tandis qu’au Nord, les reliefs de la Provence calcaire et du pays grassois, au contraire, vont émerger de la mer qui les avait recouverts jusqu’alors. Des failles effondrent de plusieurs milliers de mètres toute la partie du massif qui était au Sud-Est de l’Estérel, du golfe de St. Tropez à la pointe du Cap Roux constitué de rhyolite ignimbritique. Histoire tourmentée que celle de la Provence, tantôt émergée, tantôt recouverte par la mer, tantôt balayée par le vent du désert ou secouée par les tremblements de terre et les explosions volcaniques ! L’Esterellite (porphyre bleu de l’Esterel) ainsi dénommée par Aug. Michel-Lévy en 1896, est connue depuis l’Antiquité pour son utilisation comme pierre d’ornement. Exploitée en carrière, notamment au Dramont, elle a servi à la construction de plusieurs monuments dans le midi, au pavage de rues et à l’empierrement. L’Esterellite est de couleur claire, blanchâtre ou bleutée, parfois verdâtre. L'Abbé Papon écrit : “Dans certains endroits de la montagne le porphyre a des taches opaques d’un petit feldspath, semblables à celles qu’on voit dans les urnes et les bustes de porphyre d’Egypte qui ornent la galerie de Versailles. Les colonnes et l’urne du maître-autel de Sainte Marie Majeure à Rome sont d’un porphyre semblable à celui de l’Estérel. Les restes de colonnes de la même pierre qu’on voit dans le cloître de Lérins et devant l’ancienne église ont dû être taillés aux environs de la montagne. (...) A Pennafort, on trouve aussi une mine de fer et des pierres coloriées, approchantes du jaspe. Les unes sont blanches et rouges; les autres blanches et violettes. On trouve des améthystes dans le Rairan (Reyran).” (Voyage de Provence). Pourquoi l'Estérel est-il rouge ? Les spécialistes ne sont pas tout à fait d'accords entre eux. Selon certains géologues, cette coloration serait due à la cristallisation d’oxydes de fer libérés par une oxydation lors de certaines conditions climatiques. Pour d’autres il s’agirait des rhyolites qui se seraient dévitrifiées au cours de très longues périodes de temps géologiques. Dans un cas comme dans l'autre, le fer présent dans la rhyolite une fois oxydé provoque la couleur rouge, tandis que le fer réduit conduit à la couleur verte (observable notamment au Cap Dramont, en face de l’île d’or). Certaines zones sont brunes ou noires. Elles sont le résultat de la sédimentation, le milieu réducteur ne permettant pas l’oxydation.

L’Estérel se compose de roches volcaniques acides, rhyolithes ignimbritiques rouges - Cap Roux, Pic de l’Ours - riches en silice, de pyromérides, de rétinites, de tufs, de roches volcaniques basiques (noires ou brunâtres), de roches magmatiques (de couleur gris-bleuté) appelées porphyre bleu de l’Estérel ou esterellite et enfin de roches sédimentaires détritiques, grès (sables consolidés), pélites (de couleur lie de vin).

Bien que je sois à la recherche d'un Estérel volcanique, je ne suis pas obsédé par la nomenclature. Ne pas pouvoir coller de nom sur les choses, minéraux ou espèces végétales, n'empêche pas de percevoir leur beauté immédiate, la richesse de leur palette. La science que l'on n'a pas voulu acquérir est supplantée par l'imagination. J'imagine les cataclysmes, les formidables explosions, les extraordinaires bouleversements qui ont donné naissance à ces paysages tourmentés. J'imagine les drames des animaux fuyant les laves incandescentes. Et plus tard, beaucoup plus tard, j'imagine les hommes, regroupés en tribus rivales, guerroyant pour sauvegarder un bout de territoire de chasse et quelques grottes où brûle un bon feu sur lequel les femmes rôtissent un cuisseau d'aurochs.

 

Au temps des Oxubii

Les premiers habitants connus du massif de l'Estérel s'appelaient les Oxubii !
On ne sait pas grand chose des habitants de l'Estérel antérieurement aux Oxubii. Des vestiges d'occupation de la zone au Paléolihique, Néolithique et au Chalcolithique ont été retrouvés dans la région lors de fouilles archéologiques. Sur le massif de l'Estérel, ces sites ont été datés de 600.000 à 10.000 ans avant notre ère. Des outils de pierre taillée, en rhyolite, remontant à la période la plus ancienne, ont été retrouvés près d'une ferme à Roussivau. Des silex taillés, contemporains de la période Périgourdine (25.000 ans av. notre ère) ont été trouvés à Gratadis. Ces outils, de même que la silhouette rouge d'une main datée entre 10.000 et 8.000 ans av. notre ère, peuvent être vus au Musée Archéologique de St. Raphaël.

Des menhirs ont été retrouvés dans la région. Celui de Veyssières, gallo-celtique, est exposé dans le jardin du Musée. Celui de Valescure a été trouvé lors de la construction d'un lotissement. Il a éte déplacé et érigé en bordure de la route (D.100). Le plus beau, en place sur son site original naturel est, sans conteste, celui d'Aire Peyronne, dans la banlieue de St. Raphaël. Il remonte à environ 4500 ans, à l'époque chalcolithique. Il présente plus de 200 cupules, taillées volontairement par l'homme, sans que l'on puisse expliquer à quel rite religieux cette pratique correspondait.

 

Je savais vaguement que ce menhir se trouvait sur une ramification de la départementale 100 à peu de distance de Cap-Estérel. J'ai donc effectué en voiture plusieurs repérages sur cette route, au ralenti, à la recherche de ce satané menhir. Pas la moindre indication, pas le plus petit panneau qui le mentionne ! J'ai questionné un couple de retraités, qui ne le connaissaient pas, mais qui m'en ont indiqué un autre, approximativement, à quelques kilomètres de là, dont ils avaient entendu parler (sans doute celui de Valescure). Surprise des surprises, aprés une carrière en activité la route s'interrompt soudainement, comme si elle n'avait jamais été terminée. Elle se transforme en chemin (très) vicinal, peu carrossable, pour continuer vers l'Est en direction du vallon Vacquier et rejoindre le cours principal de la D.100. Mon intuition finit par me conduire dans l'officine de l'homme que je subodore être le plus savant de la région : le pharmacien d'un centre commercial voisin. J'ai vu juste. Il ne connait pas personnellement le menhir d'Aire Peyronne mais, il y a 15 ou 20 ans, quelqu'un lui a dit qu'il y en avait un, au bout de la départementale 100. Mais au bout de la départementale comment ? la route s'arrête ! C'est là, au bout de la route, cherchez. De retour, à nouveau, au lieu dit, je finis par découvrir le monolithe, édifié derrière un repli de terrain, au sommet de ce qui fut une butte aux temps de la préhistoire, avant que le projet de cette route morte-née ne vienne l'entailler ... pour rien.

 

Des Oxubii, les descendants tardifs des hommes du chalcolithique, on ne sait presque rien, sinon que les premiers Romains qui s'y sont frottés s'y sont piqués. Aguerries, les légions romaines reviendront quelques années plus tard pour les décimer. Plusieurs traces d'occupation des Oxubii, premier peuple connu du massif de l'Estérel, ont été identifiées. Je ne sais pas pourquoi, j'ai tout de suite aimé les Oxubii. Peut-être cela vient-il de leur nom étrange, venu d'ailleurs. Je les imagine hirsutes, vétus de peaux d'animaux, sautant de rocher en rocher, sur le qui-vive. Ils commettent des rapines par la terre et par la mer. Les tribus indigènes celto-ligures qui occupent le Var aux IIème et Ier s. av. J.C. sont connues et peuvent être localisées grâce aux textes des auteurs antiques, Pline en particulier. Il s'agit des Camactulici (région de Toulon), des Suelteri (Maures), des Verucini (zone au nord de l'Argens), des Oxubii (Estérel) et des Ligauni (territoire autour de Fayence). Les territoires contrôlés par chaque tribu devaient être très importants. Entre la deuxième et la troisième guerre punique (201-149), les peuples de la région ont formé une sorte de coalition pour défendre leurs territoires contre les Romains qui poussent toujours plus loin les limites de l'Empire. Ce sont les Celto-ligures. Les faits d’armes les plus remarquables ont eu lieu de 185 à 180 av. J.C. Ils ont été rapportés par Tite-Live et Paul Orose. Venant de Rome, le prêteur Laelius Baebius, qui se dirige vers l’Espagne à la tête de ses légions, s’arrête dans les Alpes-Maritimes pour soumettre les habitants de cette région. Il s’empare de la petite ville de Cimiez, qu'il saccage, puis de Nice, qui n'oppose aucune résistance. Ayant franchi le Var, il campe un peu à l'Ouest du fleuve, pour laisser reposer ses troupes quelques jours avant de traverser l'Estérel où se tenaient en observation les Oxubii, les Décéates, les Ligaunes, les Bérites, les Nérusiens, les Gallitae, les Triullati, les Eguitures. Tous ces peuples, que le danger imminent avait réunis, surveillaient, des hauteurs de l’Estérel, les mouvements de l’armée romaine. Agay est connue comme un port des Oxubii, d'où ils appareillaient pour des opérations de piraterie. Le nom d'Agay - Agathon, en grec, Aegitna pour les Romains - dériverait du celtique agaze qui signifie guet. Le Rastel d'Agay, promontoire naturel culminant à 288 m., constituait un poste d'observation idéal. Ils y établirent un oppidum. Par une nuit obscure les tribus Celto-ligures décident de passer à l'attaque. Profitant du sommeil des Romains elles égorgent le général et ses troupes. Quelques temps plus tard, les hordes tribales réservent le même sort au consul Quintus Marcius, envoyé pour venger la mort de Baebius. Selon Orose, elles tuent 4000 romains. Mais en 154 av. JC, le rapport de force est inégal : Opimius Postumius, écrase les Oxubii et les Décéates. En 151, Aegitna est soumise. Pour prévenir toute résurgence de la piraterie côtière des Celto-ligures qui ont survécu en fuyant dans les montagnes, et assurer une libre circulation terrestre sur la voie Aurélienne longeant le littoral, les Romains libèrent en 123-122 une bande côtière de 12 stades (2 220 m). Pax romana ! La région est sécurisée.

 

Un travail de Romain

Fréjus, Forum Julii - littéralement, la place (publique) de Jules - a été fondée en 49 av. JC par Jules César. A St. Raphaël les Romains ont bâti un quartier résidentiel nommé Epulias. L'occupation a donné lieu à l'édification de plusieurs ouvrages architecturaux à Fréjus. Parmi eux, l'enceinte de la ville, l'amphithéatre, le théatre, les thermes. J'ai tourné toute une journée dans et autour de l'amphithéatre sans pouvoir y trouver une photo présentable à faire. Il faut savoir qu'il n'a été totalement dégagé que depuis les années 1960 (suite à la rupture du barrage de Malpasset) et qu'on y donne un spectacle de corridas depuis le XIXème siècle. A l'intérieur, autour de l'arène, on a cru bon de dresser des palissades protectrices de couleur rouge ... boucherie. Le tunnel à guillotine qui conduit les animaux du camion à ... l'abattoir est également rouge-boucherie. Comble de l'hérésie : comme l'édifice est branlant et qu'il ne peut manifestement pas supporter le poids et les dégradations de milliers d'aficionados surexcités on l'a renforcé avec des moyens de pacotille, étais par-ci, échaffaudages par-là, hâtifs replâtrages de béton un peu partout, qui donnent une impression de chantier perpétuellement inachevé. Que font les pouvoirs publics, les monuments historiques ? Cet édifice ne devrait-il pas être protégé, proprement restauré et rendu à sa vocation première, celle d'un vestige archéologique qui a survécu à 2000 ans d'histoire ? Ne peut-on pas aller abattre ces pauvres taureaux à l'extérieur de la ville ? La recette de la feria y serait sans doute moins juteuse ... En 2010, le Maire Elie Brun, s'engage pour qu'il n'y ait plus de mise à mort dans les arènes de Fréjus. Un bon début ...

Une construction romaine m'a particulièrement touché. Loin de la ville, elle se développe en pleine nature dans toute sa majesté. On peut l'apprécier tranquillement, sentir ses vibrations, remonter loin dans le temps. Il s'agit de l'acqueduc qui ravitaillait Fréjus en eau potable dans l'antiquité. Les Romains sont allés capter l'eau aux sources de la Siagnole, à Mons (la montagne, en latin) dans le haut var à 520 m. d'altitude. L'ouvrage s'étale sur 40 km avec une pente moyenne de 1,2 cm. par mètre. La construction tantôt aérienne, tantôt souterraine, enjambe plusieurs vallées sur des ponts-acqueducs. Certains sont difficiles à trouver, car la vue ne porte pas loin dans cet environnement où la végétation sauvage a tout recouvert. J'ai essayé d'en suivre le parcours, à partir du Nord de Fréjus et des arches du Gargalon sous lesquelles passe la route D.637.

 

A l'instinct, en me fiant à la configuration du terrain, en essayant de raisonner comme avaient dû le faire les Romains à l'époque, quelle ne fut pas mon émotion lorsque dans un creux de vallée - à la Moutte - je tombais sur un ensemble de cinq arches que j'aurais pu rater tant elles étaient enfouies dans la végétation. Il est même possible de traverser le vallon en marchant au fond du canal antique. Plus au Nord, vers Mons, c'est la roche qu'il a fallu entailler sur plus de 20 m. de profondeur et 50 m. de long pour que l'eau puisse s'écouler en pente douce, au lieu-dit de "la roche taillée". En examinant ces ouvrages, en laissant ma main épouser les roches creusées, les pierres taillées une à une, je me suis pris à rêver, à essayer d'imaginer la vie qui devait régner en ces lieux, il y a 2000 ans. Il est commun de dire que ce sont les Romains qui ont réalisé ces ouvrages ... Qui taillait les pierres, qui conduisait les boeufs tirant les blocs jusqu'à ce qu'il soient scellés en place, qui construisait les échaffaudages, qui ahanait sur les cordages en faisant grincer les poulies ? Les Romains ? Assurément pas. Les Romains étaient les maîtres d'oeuvre, ils dépliaient les plans, ils prenaient les côtes, ils faisaient couler de l'eau pour vérifier la conformité de la pente, ils donnaient les ordres, encadrés par les légionnaires chargés de faire exécuter le travail. A qui ? Aux ouvriers qu'ils avaient recrutés sur place : les Gaulois. Combien de Gaulois ont travaillé sur ces chantiers ? Combien s'y sont estropiés, y ont perdu une main, une jambe ? Combien ont été affalés sur des carioles démantibulées et rendus, sans vie, à leurs épouses ? Pour une poignée de gros sel ! Le maigre salaire d'une journée de travail. Sur l'un des ponts on a retrouvé une pierre sculptée représentant le buste d'un légionnaire. Peut-être y a-t-il laissé la vie ? On n'a pas retrouvé de pierre sculptée à l'effigie d'un Gaulois. Autre chose encore m'est apparu au cours de ces journées passées à essayer de reconstituer l'histoire de ces arches perdues. Toutes ces constructions monumentales étaient faites pour durer, tous ces efforts qui ont demandé des années de travail attestent de la volonté romaine bien enracinée de rester définitivement en Gaule. Ceci peut paraître évident mais cela ne l'était pas pour moi qui ai toujours vu l'occupation romaine comme quelque chose de passager. 

 

Les mystiques au désert

La tradition chrétienne veut que certains disciples du Christ aient acosté en Provence dès l'an 62. Marie Jacobé, Marie Salomé, Sarah leur servante, Marie Madeleine, Marthe, Marcelle, Lazare le ressuscité, Sidoine, Maximin, Ruf, Cléone et Joseph d'Arimathie étaient jetés dans une barque dépourvue de gouvernail. Après avoir dérivé à travers la Méditerrannée, ils abordaient aux embouchures du Rhône. Lazare allait prêcher à Marseille, Maximin et Sidoine à Aix, Cléone venait à Toulon et Marie Madeleine se retirait à la Sainte Baume, à l'Est de Marseille. L'Estérel n'a pas voulu être en reste. Ses roches rouges abritent de nombreuses grottes que les hommes ont occupé depuis la préhistoire. L'une d'elle est réputée avoir recueilli Marie Madeleine dans le massif du Pic du Cap Roux. Une source d'eau bien fraîche sourd du rocher à peu de distance, ce qui rend la vie envisageable, même au plus chaud de l'été. Un culte lui est rendu sur place, une fois par an. Des pélerins conduits par cars entiers viennent y célébrer une messe.

 

 

 

 

En empruntant le chemin qui grimpe dans le rocher vers le Saint Pilon on arrive à la grotte que Saint Honorat a occupé au IV ème siècle. Vraisemblablement l'ermite allait chercher son eau à la source de la Sainte Baume de Marie-Madeleine. Raymond Féraud, poète niçois du XIII ème siècle raconte son épopée avec un enthousiasme lyrique (La vida de Sant Honorat). Parti de Gaule avec son frère Venance pour se rendre en Égypte puis en Terre Sainte Honorat embarque à Marseille et remarque, en passant, les îles de Lérins. Arrivés en Grèce, Venance meurt. Honorat revient en Provence et se présente à Saint-Léonce, évêque de Fréjus. Celui-ci lui indique une caverne dans l'Estérel où il pourra mener une vie de calme et de prière, selon son voeu. (Quelques siècles plus tard, l'église qui a aménagé le lieu en chapelle fera maçonner la porte de la grotte en pierres de taille). Il y vit simplement quelques années, se nourrissant de racines et de fruits. Mais de trop nombreux pélerins viennent lui demander des conseils d'ordre spirituel.

Cela dérange sa quète de paix intérieure. Après s'être retiré quelques temps au Thoronet, il juge l'endroit encore trop fréquenté à son goût et s'exile dans la plus lointaine des deux îles qu'il avait remarqué avec son frère en partance pour l'Egypte: Léro. Quelques compagnons, dont Caprais, l'accompagnent dans cette aventure. L'île était réputée inhabitable, car infestée de serpents. En quelques années ils la transformeront en un jardin paradisiaque. En 427, selon Cassien, la communauté était devenue un "immense monastère" qui se developpa plus tard en une importante et riche abbaye dont la propriété foncière englobait entre autres Cannes et les îles d'Hyères. Le monastère fortifié que l'on peut voir aujourd'hui au sud de l'île date de 1073. Malgré une architecture militaire son double cloître superposé et son scriptorium ont été conservés.

 

 

 

 

 

 

Cette tradition de l'érémitisme est vivace dans l'Estérel. On y trouve de nombreuses grottes qui peuvent constituer un habitat naturel aproprié. La mansuétude du climat, la beauté des sites (vue mer imprenable, le plus souvent), la modicité des loyers (quelques heures de marche hebdomadaires pour monter sa subsistance) ont incité plus d'un solitaire à tenter l'aventure. J'ai trouvé plusieurs de ces grottes, la plupart abandonnées, certaines sommairement occupées : une couche, une théière, une musette, le tout posé bien en évidence à l'entrée de la grotte pour signifier son état d'occupation aux curieux et visiteurs. Dans mes diverses pérégrinations je n'ai jamais rencontré aucun de ces ermites-vagabonds. Peut-être se cachaient-ils en m'entendant monter ? J'avoue n'avoir jamais trop approfondi mes visites de grottes occupées, par respect pour eux et peut-être aussi un peu par crainte - inavouée - de me trouver en face d'êtres, en marge de la société, aux antipodes de notre logique ... Guy de Maupassant a écrit une nouvelle intitulée "l'Ermite" qui se passe dans l'Estérel. "La vue, de là, est admirable, écrit-il. C'est, à droite, l'Estérel aux sommets pointus, étrangement découpé, puis la mer démesurée, s'allongeant jusqu'aux côtes lointaines de l'Italie, avec ses caps nombreux et, en face de Cannes, les îles de Lérins, vertes et plates, qui semblent flotter et dont la dernière présente vers le large un haut et vieux château fort à tours crénelées, bâti dans les flots mêmes." L'écrivain y raconte l'histoire d'un homme venu passer le restant de ses jours en ces lieux désolés suite à un inceste commis par ignorance. Parisien, amateur de jeunes femmes, le personnage apprend que la jeune fille dont il vient de partager la couche n'est autre que sa propre fille, dont il avait perdu la trace depuis sa naissance. Au coeur du massif de la montagne de Roquebrune, un ermite moderne, Frère Antoine, moine cistercien, a occupé pendant une trentaine d'années tout un chapelet de grottes qu'il a magnifiquement amenagées avec simplicité et respect du site. Lorsque je me suis intéressé au lieu, il l'avait quitté un ou deux ans auparavant pour aller se retirer dans un monastère. Je ne l'ai donc pas connu. Cependant, ces grottes étant devenues un objet de randonnée pour nombre de visiteurs, voire de dévotion pour certains, j'ai eu l'occasion de rencontrer des promeneurs l'ayant cotoyé. Devenu une véritable légende vivante dans les environs, chacun s'était fait un plaisir de lui monter quelques vivres, en échange d'un aphorisme décapant dont il avait le secret. Vous me montez du vin pollué de la ville ... assénait-il à un couple, en lui servant une généreuse rasade de ce vin dans la timbale unique, celle dont il régalait tout promeneur assoiffé.

Aux enfants d'une petite famille génée, Antoine - "du Rocher", comme il se désignait - offrait un paquet de biscuits. Si, si prenez; les gens m'en montent tellement que j'en ai jusqu'à la fin de mes jours ! Auteur de plusieurs livres, les équipes de télévision avaient fait le déplacement jusqu'à ses grottes. Lui, aller à Paris pour parler de son dernier livre à Apostrophes ? Jamais. Bernard Pivot était donc monté sur la montagne pour réaliser l'entretien (quelques années plus tard, en 2003, il était invité par J.L. Delarue dans son émission Ca se discute, sur France 2.). Deux phrases me restent de lui. A un petit enfant de 8 ans à qui il demande ce qu'il veut faire plus tard et qui répond : ch'ais pas; l'ermite - songeur - réplique : ben moi, tu vois, j'ai 80 ans et je ne sais toujours pas ce que je vais faire plus tard. Et cette autre, d'une profonde sagesse, piochée dans un de ses livres : l'animal emblématique du cosmomoine (dénomination dont l'ermite se qualifie), c'est l'araignée ! Il tend sa toile et il attend ...

Je suis monté plusieurs fois sur le site et j'ai été frappé, à chaque nouvelle visite, par la détérioration naturelle du lieu abandonné mais aussi par les dégradations humaines infligées aux modestes aménagements. D'une semaine à l'autre, la vaisselle - conservée intacte jusqu'alors - et les vitres étaient cassées. Nul doute que peu à peu l'endroit retournera à l'état de nature. Ce que n'aurait probablement pas désavoué Frère Antoine lui-même, si peu attaché aux choses matérielles. Mes photos sont comme un lot de consolation : elles ont tenté d'en fixer l'esprit dans la durée, pour notre mémoire.

Le retour de l'ermite

Juin 2006 : une internaute, Karhuna, m'écrit que, Swami Chandra que l'on voit sur la photo aux côtés de Frère Antoine, voyant les dégats infligés à sa grotte est venu avec une équipe de fidèles pour tout remettre en état. Frère Antoine est donc maintenant à nouveau installé dans ses murs, dans sa grotte de Roquebrune. Il a beaucoup de projets, il parle d'un nouveau voyage en Inde, etc. Il a donc quitté la maisonnette de Corse du sud que des amis avaient mise à sa disposition depuis plusieurs années (2003).

 

 

 

 

 

 

Frère Antoine, le moine-ermite (à droite). Photo Editions ALTESS

Mistral, dans Calendal, donne vie à une mystérieuse fée Esterelle qui parcourt ces espaces désertiques : Esterelle, âpre ennemie - de l'homme, hantant les lieux incultes, - se couronnant d'orties, - défendant le désert contre les défricheurs. Il en fait, lui aussi, l'habitante d'une de ces nombreuses grottes : La roche baille tout à coup : - par une rampe taillée dans ses entrailles - ils descendent tous deux et se trouvent bientôt - sous l'étrange voussure - d'une petite grotte. En stalactites - là pleurant perle à perle, - la voûte rappelle un temple orné de bas-reliefs. - Voilà, fait-elle en souriant, - ami, le palais d'Esterelle." Une note du traducteur du texte provençal, Pierre Rollet, précise que suivant la tradition du pays, la région était autrefois le séjour d'une fée appelée Esterelle, qui lui a donné son nom. "Selon les actes de St. Armentaire - ajoute-t-il - on lui offrait des sacrifices, et elle donnait aux femme stériles des breuvages qui avaient la vertu de les rendre fécondes". Cette légende souligne encore la connotation stérilité- sterilis - estérel attachée à ces lieux depuis les temps les plus reculés.

 

 

 

 

 

Des hardes de sangliers levant le groin, - tu les aurais vu grimper aux mamelons - de la Napoule, ou se vautrer tout ruisselants - sur la grève aux bruyants galets - et ensuite courir vers Esterelle - qui leur jette les pommes des pins - et du rouge Estérel leur prodigue les glands. F.Mistral. Calendal (1866)

Le mystère et le mysticisme qui régnaient en ces lieux ont trouvé un echo dans la ferveur populaire. De petits joyaux de l'art chrétien ont vu le jour. Parmi eux, quatre chapelles doivent être retenues : St Denis, la chapelle Notre-Dame à Bagnols en forêt, la chapelle de Pennafort au nord du Muy et Notre-Dame de la Roquette sur le rocher de Roquebrune. La chapelle Saint. Denis de Bagnols en forêt était une petite merveille de l'art roman jusqu'en 1999, date à laquelle elle a été bardée d'échaffaudages et restaurée en dépit du bon sens. J'ai eu la chance de pouvoir la photographier dans son état initial, notamment l'abside semi circulaire en pierres apparentes qui datait du XI ème siècle.

Aujourd'hui, Saint. Denis n'a plus du tout cet aspect, et j'aurais honte à la présenter ici. Elle a été entièrement recouverte d'un crépi moderne qui lui donne l'apparence d'un "mas" copie d'ancien et les pierres d'origine ne sont plus du tout visibles. La toiture a été refaite en lauzes, ce qui n'est certes pas du plus mauvais goût, mais qui change sa couleur d'ensemble. Devant les cyprès de gauche un panneau a été fièrement planté pour rappeler aux visiteurs le financement du Conseil Général ... A l'intérieur, le choeur est décoré de fresques remontant à la fin du XVI ème siècle. Je comprends bien qu'il ait fallu les protéger de l'humidité, mais les Monuments Historiques auraient dû conduire cette restauration avec un peu plus de circonspection artistique.

 

 Saint Denis dans son état original d'avant 1999

La chapelle de Pennafort (assez difficile à trouver tant elle est envahie par la végétation) est fantastique. J'aime tout en elle : la nature qui gagne chaque année un peu plus de terrain sur elle et son architecture complètement surréelle avec sa coupole gréco-byzantine dont l'origine demeure mystérieuse.

Elle est issue d'une ancienne communauté médiévale réhabilitée en 1857. La vierge honorée dans cette chapelle fait toujours l'objet d'un pélerinage le lundi de Pentecôte de la part des habitants de Callas, le village voisin. A côté de la chapelle se trouvent les ruines d'une tour sarrasine (tour carrée par opposition aux tours circulaires dites génoises). L'étrange dôme de la chapelle peut être dû à un artisan originaire de Grèce ou de Turquie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Au pied du Rocher de Roquebrune, on trouve la petite chapelle de ND de la Roquette qui date du XVII ème siècle. Elle a été reconstruite sur les restes du couvent des Trinitaires datant du XII ème siècle. Son état d'abandon est lamentable : toiture éventrée, tags, dégradations diverses ... La construction est mangée par la végétation, aussi le seul point le plus haut pour la photographier idéalement se trouve être sur l'autoroute (Aix-Nice). Ne pouvant m'arrêter sur la bande d'arrêt d'urgence pour opérer, je suis donc venu un matin, tôt, par la petite route qui longe l'autoroute au pied du talus. J'ai allègrement franchi le grillage de 2 m. de haut puis, me retrouvant sur le domaine d'Escota (la société d'autoroute), posté à deux doigts de la glissière de sécurité, j'ai attendu que la lumière veuille bien se mettre de la partie. Avant d'appuyer sur le déclencheur il m'a fallu attendre l'intervalle entre deux camions, le déplacement d'air occasionné par ces mastodontes manquant de faire envoler mon matériel - trépied et tout le reste - sur leur passage. Tandis que j'attendais, une camionnette est venue se garer sur la petite route, en contre-bas. Un homme en est sorti. Pensant qu'il s'agissait de quelqu'un d'Escota, je me suis fait tout petit. L'homme a récupéré les poubelles du petit parking qui se trouve à cet endroit et a fini par me repérer. S'en est suivi un dialogue assez cocasse, lui d'un côté du grillage, moi de l'autre : - Qu'est-ce que vous faites-là ? - Je photographie. - Qu'est-ce que vous photographiez ? - La chapelle. - Vous photographiez la chapelle, là ? On ne dirait pas. (Moi, un peu agacé, mais ne sachant à qui j'avais affaire : ) - Venez voir, je ne touche à rien (l'appareil était fixé sur le trépied). L'homme passe le grillage et vient coller son oeil au viseur. - Hmm ... bon. (Intrigué par tout ce mystère, je lui demande : ) - Qu'est-ce qu'il y a ici, c'est une zone stratégique, militaire, il y a un secret-défense ? (Et l'homme de me répondre : ) - Non ce n'est pas une zone militaire, mais cette montagne elle est à nous, nous sommes plusieurs propriétaires-paysans qui possédons le Rocher de Roquebrune, et on en a marre, les gens viennent de partout dans le monde, ils font des photos, là-haut il y a des oiseaux très rares, ils font des bouquins, ils gagnent de l'argent sur notre dos, et nous ... rien. - Moi je ne photographie pas les oiseaux, je photographie la chapelle. - Ca, la chapelle elle n'est pas à nous ... elle appartient à la commune de Roquebrune sur Argens, finit par lâcher l'homme, comme à contre-coeur.

La Chapelle N.D de la Roquette à Roquebrune (avec, en fond, les rochers qui appartiennent au Monsieur ...)

 

Un repaire de brigands

Au XVIII ème siècle, l'Estérel servit de refuge à celui qui fut surnommé par l'admiration populaire le "Robin des bois" provençal pour ses actes de brigandage : Gaspard de Besse. Né en 1757 à Besse sur Issole, Gaspard Bouis de son vrai nom, écumera la région d'Ollioules à Nice, excellant dans les attaques de diligences transportant percepteurs ou riches voyageurs qui n'auront pas pris la précaution de s'encadrer d'une solide escorte. "Passer le pas de l'Esterel", expression encore employée par les vieux habitants de La Bocca était de sinistre renommée. En provençal Estereou est d'ailleurs synonyme de coupe-gorge : aco es lou pas de l'estereou: ce qui se traduit par "c'est là un vrai coupe-gorge"...

 

La légende qui marqua l'entrée de Gaspard de Besse dans la clandestinité colporte deux versions. Suivant l'une ce serait en aidant un évadé du bagne qu'il prit le maquis, devint son complice et finit par former une bande de hors-la-loi. Suivant l'autre, une nuit alors qu'il s'amusait avec des amis dans une petite auberge, après avoir trop bu, il signa involontairement son engagement dans la maréchaussée. Le lendemain, retrouvant sa lucidité et réalisant ce qu'il avait fait, il déserta et partit se cacher dans les montagnes avec ses amis. Sa devise était : "Effrayez, mais ne tuez jamais". Son QG aurait été une grotte du Mont Vinaigre. Arrêté dans les Maures en juin 1779 il s'évade moins d'un an après, grâce à la complicité de la fille du geôlier de la prison de Draguignan. On lui attribue aussi la libération d'une colonne de galériens qui viendront grossir les rangs de la bande. Séducteur, rigolard, il épargne les petites gens qu'il arrête par inadvertance, allant jusqu'à leur distribuer des subsides, ce qui lui vaut son surnom de Robin des bois. L'auberge des Adrets (sur l'actuelle Nationale 7) est son centre d'information. C'est un relais de poste, un passage obligé, où les voyageurs s'arrètent pour laisser reposer leur monture ou pour en changer. Face à l'auberge, les bâtiments abritent le fourrage et les équipages, soit 40 chevaux et 8 paires de boeufs. Un "espion" anonyme de la bande de Gaspard repère les voyageurs argentés : il lui suffit d'aller prévenir le restant de la troupe au galop. Les diligences suivaient alors le chemin (GR51) qui, partant de la N7 au carrefour du logis de Paris, passe devant la maison forestière du Malpey. Une embuscade est tendue. Les voyageurs sont détroussés, surtout les collecteurs d'impôts que Gaspard de Besse affectionne particulièrement. Les Romans de Jean Aicart, Un bandit à la française : Gaspard de Besse, raconté aux poilus de France, 1918 et Gaspard de Besse : ses dernières aventures, 1919 retracent son épopée. Jacques Bens a aussi écrit un roman intitulé Gaspard de Besse, en 1986. En 1934 André Hugon avait consacré un film sur ce sujet avec Raimu. 

Gaspard de Besse, le film d'André Hugon (1934) d'après le roman de Jean Aicard

Trahi par l'un des siens, il fut arrêté dans une auberge, à la Valette du Var, alors qu'il était en visite chez son ami Augias évadé des galères. Condamné à mort le 25 octobre 1781 il fut conduit sur l'échafaud de la place d'Aix-en-Provence (certains parlent du supplice de la roue) à l'âge de 24 ans. Récemment le dessinateur de BD Behem, a créé "Gaspard de Besse", nominé pour le Prix Alph'Art Jeunesse 9-12 ans au Festival d'Angoulême 2001, une oeuvre que lui a commandé la mairie de Besse sur Issole afin de faire connaître le personnage aux jeunes générations.

 

 

 

 

Le 13 février 2006 France 2 a diffusé un film de Benoît Jacquot "Gaspard le Bandit", dans lequel Jean-Hugues Anglade incarne le personnage principal. Benoît Jacquot et son scénariste Louis Gardel se sont appuyés sur le roman "Gaspard de Besse" de Jacques Bens en y apportant quelques innovations : ils ont décidé de vieillir Gaspard et de s'inspirer des "Contrebandiers du Moonfleet" de Fritz Lang en introduisant un jeune homme, Antoine, auquel Gaspard transmet son savoir ... 

 

Le débarquement de 1944

Lors de la seconde guerre mondiale l'Estérel fut le théatre d'une opération militaire décisive puisqu'elle devait précipiter le repli et la reddition de l'occupant nazi. Initialement, le nom de code américain que les alliés avaient choisi pour le débarquement en Provence était Anvil (l'enclume). Il devait se dérouler en même temps que celui de Normandie, le 6 juin 1944, qui s'intitulait, lui, Hammer (le marteau). La stratégie consistait à prendre les Allemands en étau entre le marteau et l'enclume lorsqu'après ces deux débarquements la jonction se serait opérée quelque part au milieu de l'héxagone obligeant l'occupant à se replier ou à se scinder en deux entre l'est et l'ouest. Des retards pris en Italie, dans les combats pour libérer Rome qui ne tombera que le 6 juin 1944, améneront les alliés à séparer les deux opérations. Le débarquement en Normandie était alors baptisé Overlord et celui de Provence Dragoon. L'opération prévue pour le 15 août 1944 dans le midi visait à prendre pied sur 70 km de côtes entre Cavalaire et Agay pour reconquérir Toulon et Marseille dont les ports étaient précieux pour une arrivée massive des alliés. 250.000 hommes au total ont été affectés au débarquement en Provence sous l'autorité du général US Patch, commandant la VII armée. Une bonne partie des troupes revient d'Italie. Le matériel amphibie a été récupéré sur les côtes normandes via Gilbratar. Les opérations de sabotage de la part de la résistance Française s'intensifient dans le sud : dynamitage de deux voies ferrées et de deux ponts routiers, de cinq tronçons de voie ferrée et de deux tronçons câblés. Il faut signaler que depuis plusieurs jours déjà, les Allemands ont repéré une agitation anormale qui règne en méditerranée. Le Colonel Manfred Kehrig, Directeur des archives militaires de la République Fédérale d’Allemagne, écrit : 

Dans la journée du 14 août, la certitude se développa à l'état-major 19 (Allemand) qu'un débarquement allié était imminent à l'est du Rhône, après que la reconnaissance aérienne allemande eut signalé, le 12 août 1944, la découverte de deux convois de 75 à 100 véhicules terrestres et bateaux de guerre devant Ajaccio, en Corse, et l'occupation de la baie et du port de la ville par d'importantes capacités de transport et forces navales. Le soir du 14 août, à 18 h 05, l'armée de l'air signala le départ de cette flotte d'Ajaccio en direction du nord-ouest. L'état-major 19 informa immédiatement ses unités du débarquement attendu pour le 15 août, lequel, selon ses calculs, pourrait avoir lieu à l'est du Rhône aux premières heures du jour ou à l'ouest du Rhône dans l'après-midi, cette dernière possibilité restant la plus improbable. A 21 h 50, la 6e Flottille de sécurité occupa la zone allant de Giens à Antibes ; une heure plus tard, la flotte de débarquement ennemie fut repérée pour la première fois au sud de Toulon. Le 15 août, à partir de 00 h 25, des messages parvinrent continuellement au sujet l'approche de la flotte de débarquement ; à 02 h 25, les premières tentatives de débarquement eurent lieu de part et d'autre du Cap Nègre ...

 

 

Dans la nuit du 14 août, un commando d'une trentaine de français prend pied au Trayas. Ils sont repérés. Les fusées allemandes trouent la nuit et éclairent la scène comme en plein jour. Mais l'ennemi ne réagit pas. Le commando bondit sur les premiers reliefs de l'Estérel. Le terrain est truffé de mines. Le lieutenant Auboyneau tombe le premier. Puis ce sont ses hommes qui seront déchiquetés les uns après les autres. A 1h.30 trois régiments américano-canadiens débarquent sur les îles d'Hyères. A 1h.50, au cours de l'opération codée Ferdinand, cinq C-47 venus de Corse larguent 300 mannequins sur La Ciotat pour faire diversion. A 4h.30, 400 avions venus d'Italie lachent 10.000 parachutistes anglais et américains avec jeeps et canons, à l'arrière de la zone de débarquement, entre Saint Tropez et Fayence. Puis le jour se lève sur l'armada alliée qui barre l'horizon sur des kilomètres comme d'une ligne noire. Les bombardiers couvrent d'un tapis d'acier fortins et casemates. Les canons des navires de guerre entrent en action. Seize mille obus tomberont en deux heures recouvrant cette partie de la Côte d'Azur sous un déluge de feu. A partir de 8 h. les barges chargées d'hommes, chacune pouvant en contenir 120, s'élancent vers les plages du Cap Nègre, de Cavalaire et de Sainte Maxime. Elles appartiennent à la 36ème Division d'Infanterie du Texas de l'armée Américaine sous les ordres du Général Dahlquist. Plusieurs d'entre elles sont coulées sous un feu intense près d'Antheor parmi d'autres bâtiments importants comme le Landing Ship Tank.

Les objectifs visés par le débarquement sont la presqu'île de Saint-Tropez, le cap des Sardinaux, Val d'Esquières et Saint-Raphaël. Du côté de Fréjus-St. Raphaël la résistance est très forte. Les alliés demandent l'appui de 93 bombardiers pour saper la défense allemande. Les dragueurs de mines nettoient la zone sur une bande côtière de 500 m. Deux équipes de démolition débarquent et entreprennent l'ouverture de passages jusqu'à la plage. Mais devant l'impossibilité de détruire les obstacles sous-marins l'Amiral Lewis transfère le débarquement de cette zone au Dramont à l'est et à la Nartelle à l'ouest. A 10h.30 les forces d'assaut abordent sur les plages du Dramont.

 

A 15 heures les troupes débarquent à Saint-Raphael. La résistance allemande commence à faiblir. A 17h30 Saint-Tropez est libéré. A 18h l'Etat-major allié installe son P.C. à Saint-Tropez libéré par les parachutistes américains et la brigade F.F.I. des Maures. Au soir du jour J du débarquement en Provence, le bilan est positif. Les alliés ont établi une solide tête de pont. Mais les Français devront attendre jusqu'au 16 août au soir pour toucher la terre de France. La première armée Française avec la Garbo Force de De Lattre de Tassigny débarque à son tour. Elle est composée de troupes coloniales et de soldats volontaires ayant rejoint les F.F.L après la débâcle de 1940.

Au total 4000 hommes - Américains, Canadiens, Anglais, Français - ont laissé leur vie sur ces plages pour reconquérir la Provence et poursuivre la libération de la France entamée avec le débarquement de Normandie. Une barge US a été laissée en souvenir de ce moment sur la plage ouest du Cap Dramont, à peu de distance du petit port du Poussaï.

 

Le barrage de Malpasset

Je suis allé plusieurs fois sur le site de Malpasset au bout de la D.37 après les anciennes mines de Boson. Il faut franchir le Reyran à gué, à pied ou en voiture (une trentaine de cm) puis se garer un peu plus loin sous le pont de l'autoroute. De là, on part au fond du vallon jusqu'aux vestiges du barrage. Plus de 40 ans après, c'est encore la même impression de désolation et d'apocalypse qui règne ici. Des morceaux du barrage jonchent le parcours. Des blocs de béton de la dimension d'une maison de 2 étages qui laissent échapper des ferrailles torturées et rouillées se dressent vers le ciel. Le vallon est assez encaissé et l'on imagine sans peine la puissance inouïe des 50 millions de mètres cube d'eau qui se sont déversés ici lorsque le barrage a cédé emportant tout sur son passage jusqu'à la mer, habitations, hommes, animaux ...

Un homme s'est trouvé en toute première ligne de cette catastrophe. Il s'agit d'André Ferro, le gardien du barrage de Malpasset. Sa maison se situait à 2 km et demi en aval. Ce soir-là, le 2 décembre 1959 à 20 h.50. il vient de rentrer d'une tournée d'inspection au barrage. Tout semble normal. Habituellement il va contrôler le niveau du lac trois fois par jour. Il veille à ce que la côte 95 ne soit pas dépassée. Il y a deux jours la côte a déjà atteint le niveau 98 du fait des fortes précipitations qui s'abattent sur la région depuis une quinzaine de jours. Jamais le lac, long de 18 km, large de 3 km par endroits, n'a été aussi plein. Dans ce cas il téléphone au Génie Rural de Toulon qui lui donne le feu vert pour "faire un lâchure". Il ouvre la vanne du déversoir au pied de l'édifice qui mesure 60 m. de haut. 90 mètres cube d'eau par seconde s'échappent du barrage. Dans 3 heures ce seront 300.000 mètres cube qui auront dévalé les pentes du Reyran. Le niveau du lac n'aura baissé que de 3 cm. Mais ce 2 décembre il sait que le barrage est plein jusqu'au débordement malgré la vanne du déversoir ouverte au maximum. Il est inquiet. Il s'apprète à remonter au barrage pour s'assurer que tout est normal ... Il est 21 h.13.

 

C'est à ce moment qu'il entend "comme une sorte de grognement d'animal", un craquement sinistre. Le sol vibre sous lui. Tout de suite, le gardien comprend. Il crie : "Le barrage ! Vite ! Tout va s'écrouler ! " Saisissant son petit garçon déjà couché, il s'élance suivi de sa femme vers le haut de la colline. Au-dessous d'eux, ils voient déferler une première vague de 60 mètres de haut qui a jailli du barrage et qui s'engouffre dans la vallée du Reyran que franchissent, à peu de distance, les tronçons de l'autoroute A8 en construction. Un paysan témoigne : "J'étais chez moi au deuxième étage, j'ai vu arriver la trombe d'eau qui me dominait de plusieurs dizaines de mètres, encerclant la maison. Les murs ont tenu. Quelques secondes plus tard, elle était passée, mais le flot continuait à couler, dans lequel je pouvais tremper mes mains. Au loin, la vague progressait à la vitesse d'un cheval au galop et je voyais sur la route les phares des voitures bousculées et traînées comme des fétus de paille." Dans la vallée du Reyran, en quelques secondes, 53 maisons sont détruites. Il y a déjà près de 120 morts. Sept minutes après la rupture du barrage, plusieurs millions de mètres cubes d'eau et de boue envahissent les quartiers ouest de Fréjus et se répandent dans la plaine. Dans une maison située entre la route et la voie ferrée, un couple est réveillé par le vacarme. La femme, assoupie, murmure : "C'est le train." Le mari se lève, ouvre la fenêtre: "A la place du train, et presque aussi vite que lui, j'ai vu passer un arbre, un camion et des tonneaux entraînés par un courant furieux qui montait presque aussi vite que du lait dans une casserole." Les passagers du rapide Riviera-Genève ont eu de la chance. Il s'en est fallu de peu que le train ne déraille. Dix secondes après son passage en gare de Fréjus, la déferlante arrache la voie ferrée sur 2,5 km. Dix minutes après la rupture du barrage, la vague atteint le centre de Fréjus totalement privé d'électricité et de téléphone depuis déjà 10 minutes, lorsque les deux centrales ont été emportées par les eaux. Le gradé de permanence à la gendarmerie s'est précipité chez le curé : "Faites sonner le tocsin !" Pendant que le tocsin retentit, la vague emporte tout sur son passage. Les habitants qui le peuvent encore fuient. Les survivants témoignent : "Dès que le tocsin s'est mis à sonner, sans hésiter, j'ai poussé ma femme dans la voiture et j'ai démarré. La vague nous a rejoints et nous a projetés contre un mur."; " J'étais couché avec ma femme quand un voisin a cogné à la porte." "Malpasset a cédé, a-t-il crié, l'eau arrive."; "Nous entendions déjà le grondement de la vague. Dans la rue, nous avons découvert une file ininterrompue de voitures qui cherchaient à fuir dans la direction de Saint-Raphaël. Nous avons tout abandonné et nous sommes partis. Nous avons vu des gens qui, comme nous, avaient juste pris le temps d'enfiler un pardessus sur leur pyjama." Un quart d'heure après l'explosion du barrage, la vague a atteint la mer. Elle n'a plus qu'une hauteur de 2 mètres mais balaie encore une demi-douzaine d'avions de la base aéronavale. A 21 h 40, la vague s'est perdue dans la mer, charriant toutes sortes de débris et des dizaines de cadavres. Plusieurs semaines après on connaîtra le bilan du cataclysme: 381 morts dont 135 enfants, 107 disparus, 1881 familles sinistrées, 104 maisons entièrement détruites, 700 endommagées. La catastrophe laissera 79 orphelins désemparés à la veille de ce Noël 1959.

Pourquoi cette catastrophe ?

Il faudra plusieurs années d'enquête, deux rapports d'experts et de contre-experts pour tenter de déterminer les responsabilités du drame. Immédiatement un nom s'impose aux esprits, celui d'André Coyne, l'ingénieur qui a conçu et calculé l'ouvrage. Mais Coyne est très expérimenté. Il a construit des centaines de barrages. L'entreprise chargée des travaux, une trentaine. On incrimine la minceur de ce barrage qui appartient à la catégorie des barrages dits "à voûte mince". Le barrage de Malpasset mesurait 6,50 m d'épaisseur à la base et 1,50 m au sommet pour une hauteur de 60 m. Pour le comparer à un ouvrage similaire, celui de Génissiat mesurait 100 m à la base et 9 m au sommet pour une hauteur de 104 m. L'ingénieur Coyne avait opté pour un barrage à voûte mince parceque c'était le plus fiable de tous : "C'est une chose rare et sans doute unique dans l'art de bâtir qu'un type d'ouvrage qui n'a jamais lâché, dit-il. Malgré certaines apparences contraires, la finesse et la légèreté des formes, les fatigues élevées, la preuve est faite que le barrage-voûte est le plus sûr de tous." Il avait toutefois émis certaines réserves : "Le barrage-voûte est une solution à écarter quand on craint si peu que ce soit l'instabilité des rives, le risque d'éboulement, la détérioration par l'air, la pluie, le gel, etc." Les rives, tout se serait donc joué là ! Le barrage-voûte appuie énormément sur les rives. En 1955 un universitaire grenoblois a publié une étude dans laquelle il écrit : "Le service du Génie rural construit en ce moment un grand barrage voûte pour créer sur le Reyran une retenue.

Cet ouvrage est fondé sur des gneiss micacés très altérés et tout à fait impropres à la fabrication du béton." En 1963, les envoyés spéciaux du journal Paris-Presse écrivaient à la fin du mois de décembre : "Les roches d'appui étaient fissurées et inclinées vers l'aval. Des pluies exceptionnelles avaient modifié la structure géologique. L'entreprise chargée de la construction de l'autoroute au pied du barrage a fait exploser des charges de plus de 350 kg de tolamite. Il n'y a pas eu de malfaçons techniques." Au cours de son enquête pour le Monde du 3 Décembre 1959, le lendemain du drame, le journaliste Henri de Virieux écrit que la rupture aurait pu être la conséquence des vibrations provoquées par des tirs de mines lors de la construction de l'autoroute Estérel-Côte - d'Azur à deux kilomètres en aval du barrage. Et puis il y a le témoignage d'André Ferro, encore plus accablant. Evoquant les tirs de mines sur le chantier de construction de l'autoroute, il déclare : "Il y avait des secousses terribles. Je voyais bouger l'eau du lac au moment du tir. Je suis allé le dire sur le chantier : vous tirez des charges à 80 mètres de l'appui gauche du barrage." Or c'est bien l'appui gauche qui a lâché. La roche, quoique de qualité médiocre, était théoriquement suffisamment solide pour résister à la poussée. Mais une série de failles sous le côté gauche du barrage, "ni décelées, ni soupçonnées" pendant les travaux de prospection, mais constatées postérieurement à la rupture du barrage, ont fait qu'à cet endroit la voûte ne reposait pas sur une roche homogène, selon le rapport des experts. Les vibrations des tirs de mines ont-elles causé l'affaiblissement de l'appui gauche ?

Cet affaiblissement est-il dû à une cause naturelle d'ordre hydro-géologique tel que des infiltrations d'eau ? On ne le saura sans doute jamais vraiment. L'arrêt de la Cour de cassation a néanmoins conclu en 1967, après maintes procédures, qu'" aucune faute, à aucun stade, n'a été commise". Ce qui a fait dire que "la nature avait préparé un véritable piége" ... La tragédie de Malpasset s'est ainsi refermée: 450 morts et pas de coupable. D'un ouvrage humain, conçu, calculé et construit par des hommes on a voulu faire une catastrophe naturelle pour laquelle on ne pouvait relever aucune responsabilité humaine.

 

 

 

 

 

 

 

Tintin et l'île d'or

En face du Cap Dramont et du port du Poussaï se trouve l'Ile d'Or. C'est en 1897 que l’état mit en vente aux enchères publiques l’Ile, qui - selon Maupassant - doit son nom à sa couleur (Sur l'Eau). L'adjudication est prononcée en faveur de Monsieur Sergent, architecte, au prix de 280 francs. Mais au cours d'une partie de cartes bien arrosée, partie dont l'île est l'enjeu, elle change de main : l'excentrique Docteur Auguste Lutaud en devient propriétaire. Il y fait édifier une tour sarrasine et en 1912 au nez et à la barbe du concert des nations, il s'auto proclame "Roi des Roches battues par les flots" : Roi de l'île d'Or, sous le nom d’Auguste 1er. Il frappe monnaie, émet des timbres et organise une fastueuse réception pour l'inauguration de son royaume le 25 septembre 1913.

 

 

 

 

 

 

Deux de ces timbres ont été retrouvés par un collectionneur sur des cartes postales de 1910 et 1922 oblitérées à St. Raphaël et Nice. Les timbres représentent la tour sarrasine et portent l'inscription Insula Aurea (île d'Or en latin) en bas et une inscription en arabe en haut (on le devine sur ces reproductions de mauvaise qualité). A sa mort, en 1925, l'urne contenant les cendres de Sa Majesté Auguste fut scellée dans un rocher de l' île, face au sud. Elle s'y trouve toujours. Pendant la guerre la tour a été pillée et lors du débarquement de 1944 un incendie l'a ravagée. Dans les années cinquante, il n'en subsistait plus que les quatre murs extérieurs. En 1961, François Bureau, ancien officier de marine, achetait l'île. Il faisait reconstruire l'intérieur de la tour, aménageait un débarcadère, apportait de la bonne terre et y fit pousser des plantes grasses. Tous les jours, il faisait le tour de son île à la nage. Il est mort le 16 août 1994, à 76 ans, au cours de sa séance de natation. Ses cinq enfants et seize petits enfants continuent à venir passer leurs vacances sur l’Ile d’Or qui est toujours une île privée.

La silhouette déchiquetée de l'Ile d'Or a inspiré à Hergé le décor d'une de ses BD, L'île noire.

L'histoire ne se passe pas en méditerrannée mais en Ecosse. Voulant aider un avion en difficulté, Tintin se fait tirer dessus. Poursuivant ses assaillants, le célèbre reporter se retrouve sur une île rocheuse sur laquelle un manoir isolé a été édifié. La rumeur a répandu le bruit qu'une bête mystérieuse en a fait son repaire. En fait l'île abrite une bande de faux-monnayeurs. Après diverses péripéties, Tintin mettra fin à leurs activités et révelera au grand jour la véritable nature de la bête.

 

Trois couvertures d'Hergé

Un internaute m'écrit : "Bonjour, Je suis Raymond Magnan, né le 22 mars 1940 jour de tempête parait-il, je ne m'en souviens pas, sur la plage de Camp Long dans ce qui était l'Hôtel Robinson. Vous commettez un oubli sur l'incendie de la tour de l'Ile d'Or, incendie dont je me souviens très bien. Peut être avait-elle brûlé lors du débarquement, en effet après la libération elle était vide et en mauvais état. Mais, je ne me souviens plus de l'année exacte, elle a aussi été incendiée par une maladresse lors d'un feu d'artifice un quinze août. Déjà à l'époque! Je ne retourne plus qu'à contre coeur là bas, bien que la maison de famille soit toujours là. Pas à cause des incendies, mais de ceux qui les exploitent. Pourriez vous raconter l'histoire des pinèdes qui couvraient les collines derrière le Dramont et Camp Long et qui ont brûlé dans les années 56 et suivantes, libérant ainsi les terrains qui ont servi à construire plusieurs lotissements puis Cap Estérel en toute contradiction avec la loi "Littoral" qui existait déjà. Et en faisant disparaître les vestiges romains et pré romains qui s'y trouvaient: des traces d'ornières sur le chemin étaient là où est le golf actuel, elles marquaient peut-être le chemin des chariots qui chargeaient les pierres des carrières (comme aux Caous?) sur des navires à l'abri dans la rade d'Agay, au Pourousset, une svastika gravée sur une roche, les accumulations et les lignes de pierres vers le menhir d'Ayre Péronne, etc.. Il y avait déjà eu un précédent avec la disparition du menhir de Vaissiéres pour faire la place au camping caravaning. Curieusement les zones qui viennent de brûler sont en limite des grands lotissements (Valescure, la Bouverie et d'autres) et la disparition des arbres va permettre d'étendre les zones constructibles. Regardez la carte. Merci pour vos magnifiques photos.

PS : Mon grand père croyait que les cupules sur le menhir représentaient des
constellations. On peut y voir la grande ourse sous un certain éclairage, je
ne sais plus à quelle heure. J'ai essayé de l'illustrer sur la photo jointe.

Raymond Magnan, le 2 août 2003

 

 

 

Je vous joins également une aquarelle du menhir peinte par mon grand-père dans les années 30

 

L'Estérel, terre de cataclysmes

En commençant cette présentation je disais que se promener dans l'Estérel c'est sentir toute une histoire tumultueuse et tourmentée encore présente. Les quelques rappels historiques donnés dans les pages qui précèdent ont contribué à le montrer, je l'espère. L'Estérel n'est pas une terre de tout repos. J'ai toujours l'impression que l'apaisement n'est que temporaire et qu'à chaque instant de nouveaux cataclysmes peuvent s'y déclencher. On y sent le volcanisme sournois qui ne demande qu'à resurgir, les Oxubii dont les ombres furtives se faufilent derrière les rochers, les Romains qui tentèrent, orgueilleusement, de les soumettre, les épidémies, les destructions, les guerres. Même les pacifiques ermites ont été imités par les brigands de grand chemin en élisant domicile dans ses grottes pour préparer leurs attaques. Le "vent aigre" passe sur ses hauteurs, s'insinue dans ses anfractuosités et balaie les rumeurs des histoires anciennes.

 

Photos de l'Estérel
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Les hommes ont donné son nom, Vinaigre, au point culminant du massif, pour rappeler que tout est chimérique sur cette terre, que tout passe, comme "l'homme aux semelles de vent", cher à Rimbaud. Il reste une terre inhospitalière, ou seuls quelques marginaux ont pu survivre. Repaire de brigands c'est un aussi un point de repère. C'est un refuge pour l'imaginaire, une sorte de no man's land posé sur une côte d'azur factice. C'est une enclave de nature et de fantasmagories. C'est une chance que de tels espaces de liberté existent encore. Puissions nous faire tout notre possible pour les préserver.