e s t é r e l - 1

 

 

l'exemple du parc du yellowstone
un jardin secret
le feu du magma
au temps des Oxubii
un travail de romain
les mystiques au désert
un repaire de brigands
le débarquement de 1944
le barrage de malpasset
tintin et l'île d'or

 

l'exemple du parc du yellowstone

En 1871, aux Etats-Unis, une expédition géologique dirigée par Ferdinand V. Hayden explore les merveilles du Yellowstone, dans le Montana. Parmi les membres de l'équipe se trouvent un jeune peintre Thomas Moran et un photographe de paysages, W.H. Jackson. Le but de l'expédition : fournir aux membres du Congrès, qui siègent à Washington, des pièces à conviction visuelles, pour les convaincre - eux qui ne peuvent faire un déplacement long et difficile - des beautés extraordinaires que recèle cette région. Ceci afin de protéger le Yellowstone de la fièvre minière et affairiste qui s'est emparée des Etats-Unis et voter la protection de cette zone. Jackson, le photographe, a emporté trois chambres grand format, 20x25 cm., à plaques de verre et un laboratoire de campagne monté sous la tente chaque soir. A cette époque, la photographie est exclusivement en noir et blanc. Au peintre, Moran, de traduire sur ses aquarelles les couleurs des paysages magnifiques qui s'offrent à leur vue. De retour à Washington, Hayden présente les photographies et les peintures aux membres du Congrès, médusés. Il demande la protection de la région du Yellowstone. Le 1er Mars 1872, U.S. Grant, le Président des Etats-Unis, signe l'acte officiel de la création du Parc du Yellowstone, le premier parc naturel à être créé au monde. Dans cette histoire, on le voit, la photographie a joué un rôle de première importance pour témoigner et pour convaincre les politiques. Si mes photographies de l'Estérel pouvaient un tant soit peu contribuer à faire évoluer les choses dans un sens aussi favorable, j'en serais infiniment heureux. L'Estérel est menacé par la gangrène immobilière, urbaniste et industrielle. Pendant des décennies, aucune mesure politique sérieuse n'a été prise pour le protéger. Ce n'est que tout récemment, en 1999, que l'Estérel a été classé, ce qui a pour avantage de geler les programmes immobiliers. La création du Parc Naturel Régional de l'Estérel est en chantier. La mission a été confiée à l'ARPE (Agence Régionale Pour l'Environnement). Lorsque ce projet aboutira, la voie sera ouverte pour la création d'un Parc National de l'Estérel. Alors, nous serons assurés que les générations futures pourront continuer à venir découvrir ses beautés au fil du temps. L'Abbé Jean-Pierre Papon qui a effectué un voyage dans la région au XVIII ème siècle énumére les poissons qu'on pouvait trouver au large de l'Estérel. Combien d'espèces ont-elles survécu jusqu'à nos jours ?

"Le rouget, l’oculata (sole), la vive, le merlan, le peis rei (poisson royal), le scarus
varius ou rouchau, le gerres, le serran, la perche de mer, la dorade, le denti, les anchois (les
meilleurs se pêchent dans la mer de Fréjus), les sardines, le mulet ou mujou, la vergadelle, le turbot, le fanfre, le pageau, le tourd, l’esturgeon (qui remonte le Rhône), la pelamide, l’orcyne, le thon, l’empereur ou poisson-épée, le veau marin (qui fait en dormant un bruit semblable au meuglement des veaux - d’où son nom); aux îles de Lérins on en voit qui s’endorment au soleil, sur les bords de la mer et quand un bruit les reveille, ils poussent un mugissement et se culbutent dans l’eau, le dauphin, le requin, le marteau, le serpent de mer, la murène, le silat (congre), le spondile ..."
(Voyage de Provence. Ed. La Découverte, 1984).

Pour beaucoup de ces espèces nous en ignorons jusqu'au nom. Tant qu'il en encore temps sauvons ce qui peut encore être sauvé. Puissent mes photos contribuer à la prise de conscience à tous les niveaux, grand public ou responsables, que l'Estérel est une région présentant des paysages aux caractéristiques uniques en France et que ses beautés méritent enfin d'être préservées.

 

 

un jardin secret

La Côte d'Azur est mon port d'attache. J'y vis à peu de distance de l'Estérel. Il me faut environ une heure de route pour me retrouver plongé au coeur de la zone la plus sauvage. Beaucoup de visiteurs viennent, parfois de très loin, pour retrouver une certaine Côte d'Azur, celle des dépliants des agences de voyages. Je n'aime ni les agglomérations surpeuplées, ni les buildings du bord de mer, ni les palaces au charme suranné. Si je vivais en Californie, sans doute aimerais-je le désert de Mojave. J'aime l'Estérel. Je l'ai découvert par une sorte de supposition écologico-photographique. Et si l'Estérel constituait encore une espèce de hâvre de paix, un refuge pour amoureux du naturel, une enclave dans une civilisation dévorante ? Peut-être, pourrais-je essayer de traduire mes visions en photographies pour inciter à la visite, à la découverte, ou pour servir de témoignage à ceux qui sont loin et qui n'auront pas l'occasion de venir ? Des échappées belles sur la Côte, il y en a. Il suffit de pousser vers le Nord, dans ce qu'on appelle l'arrière-pays. On y trouve de vieux villages, agrippés au rocher comme des serres de rapaces, de fraîches ruelles, des fontaines sonores, et partout autour des restanques où l'on bat les oliviers, des potagers généreux et des vallées profondes que parcourt la sauvagine. En levant les yeux, plus haut, on aperçoit les sommets enneigés du Mercantour. La vraie montagne. Pour s'y rendre, il faut en passer par cet étage intermédiaire de la moyenne montagne, l'arrière-pays. La Côte est ainsi faite : un bord de mer surpeuplé, un arrière-pays d'altitude moyenne et moyennement peuplé, les Alpes et ses sommets qui culminent à près de 3000 m. quasiment désertes, où les gens sont si rares que lorsqu'ils se croisent sur les chemins ils se saluent et prennent même le temps d'échanger quelques mots. Paradoxe des paradoxes, l'Estérel est enserré dans la bande côtière. Désert de roches rouges, on y trouve pourtant la solitude de la haute montagne et ce, à seulement quelques encablures de Fréjus, Saint-Raphaël ou Roquebrune sur Argens. Pourquoi ? Vraisemblablement parceque sur ses hauteurs il ne pousse rien. Les Romains avaient très vite constaté le fait. Ils avaient nommé l'endroit sterilis, d'où a dérivé le nom moderne d'Estérel (le nom d'une tribu celto-ligure les Suelteri qui occupaient la région voisine des Maures a peut-être aussi exercé son influence sur cette dénomination). Hormis sur ses contreforts où s'est déposée une maigre terre qui permet la culture de vignes et bien entendu dans les plaines, les hauteurs deviennent très vite arides. Muni de cette hypothèse (écologico-photographique), je suis donc parti un jour sur les sentiers de l'Estérel. J'ai été surpris du contraste. Si près de la civilisation, de ses routes, de ses villes engorgées j'ai trouvé le silence, une nature intacte, un soleil presque omniprésent, une mer étincelante et une vue qui porte au-delà de l'horizon. Ces impressions, je ne les partageais pas avec les visiteurs déversés par autobus entiers en des lieux balisés, reconnus, où les conduisent les loisirs organisés. Je trouvais des chemins que plus personne n’empruntait depuis bien longtemps. Des chemins modestes, qui ne sont pas classés, que le temps, les usages immémoriaux, les bergers et les troupeaux ont gravé aux flancs des collines. Ces chemins de l'ancienne sagesse. Tant de découvertes à faire en si peu d’espace, une sorte de microcosme, presque un monde intérieur. Un jardin extraordinaire si méconnu qu’il pourrait être un jardin secret. Un jardin clos à l’image du paradis. Clos par la mer au midi, par les routes qui l’encadrent, par les Maures au couchant, par les plaines du Var à l’Orient. Frère Antoine, ermite des temps modernes, vivait il y a encore quelques années dans le rocher-montagne de Roquebrune. De sa grotte, par une anfractuosité de la roche, on peut apercevoir en contre-bas, l'autoroute sur laquelle circulent, dans les deux sens, des milliers de voitures aussi minuscules que des modèles-réduits, et silencieuses, car là-haut aucun bruit de la civilisation ne parvient à s'élever. Où courent-ils donc tous ces automobilistes pressés et ces camions qui livrent leurs marchandises ? Tout à leurs affaires et à leurs soucis, ils ignorent que l'Estérel qu'ils traversent les yeux rivés au compteur est un jardin secret où poussent lentement la ciste, la lentisque, la myrte, l'arbousier, l'asphodèle et le calycotome. Ils en ignorent les senteurs de romarin, la fraîche ombrelle des chênes verts au midi, le bruissement des sources. Il n'ont pas vu la salamandre tachetée se faufiler dans les cailloux, le lézard ocellé niché dans les creux, la vipère sauvage alanguie au travers des chemins. Leur coeur ne s'est pas emballé à l'envol ébouriffé de la perdrix rouge. Ils n'ont pas plissé des yeux dans le soleil pour suivre les tournoiements majestueux du rapace circaète Jean-le-Blanc. lls n'ont pas entendu résonner le brâme du cerf élaphe le long des vallées. Ils ignorent qu'à celui qui se donne la peine d' en arpenter les sentes, ses rochers tourmentés et âpres lui feront faire une bien étrange découverte dans le temps. Des roches aux formes extravagantes, aux couleurs de feu, qui se sont figées lorsque les entrailles de la terre se sont entrouvertes pour laisser s'échapper la lave en fusion qui s'est épanchée dans la région. C'était il y a environ 300 millions d'années. C'était hier.

 

 

L'Estérel peut être circonscrit au sens restreint, géographique ou au sens large, géologique. C'est cette seconde vision que j'ai adopté. J'ai retenu l'Estérel en tant que système géologique. Cela signifie que j'ai inclu dans mon travail le Rocher de Roquebrune, excentré vers l'Ouest, mais aussi Pennafort, au nord du Muy, dont les gorges appartiennent au même système que celles du Blavet, dans la région de Bagnols-en-forêt. Alors que la géographie limite l'Estérel à Cannes-Mandelieu à l'Est et à Fréjus à l'Ouest, il semble logique de considérer la rivière Argens comme la limite naturelle Ouest entre l'Estérel et les Maures. Lorsqu'il y a 300 millions d'années les volcans ont vomi leur lave, cela a donné lieu à des résurgences relativement bien différenciées les unes des autres : le massif dit de l'Estérel (Pic de l'Ours et Pic du Cap Roux), le Rocher de Roquebrune, la zone de Bagnols-en-forêt avec ses massifs du Rouet et de Malvoisin. Entre ces zones où chacun reconnaîtra les caractéristiques bien typées de l'Estérel, la civilisation et l'urbanisme ont prospéré dans les plaines. A tel point que si je devais accompagner des visiteurs pour leur faire découvrir les plus beaux sites de l'Estérel, il faudrait louer un mini-bus dont les vitres soient obturables à volonté par des rideaux opaques lors de la traversée de ces ramassis d'horreurs : banlieues industrielles, centres commerciaux, routes, voies ferrées, autoroute, toutes choses dont j'ai honte qu'on les ait laissé proliférer anarchiquement. Le progrès ? Il faut bien qu'une région se développe, rétorquera-t-on. Imaginons seulement, alors, la magnifique chaîne des Puys, dans le massif central, environnée de toute cette urbanisation comme on l'a laissé faire pour l'Estérel. Le Cantal aussi a le droit de se développer, mais pas à n'importe quel prix.

Parmi toutes ces abominations, j'ai tenté de me frayer un chemin pour photographier un Estérel idéal. J'ai dû parfois employer des ruses savantes pour ne pas cadrer cet affreux poteau télégraphique en béton, cette ligne de haute tension qui raye le ciel, ce relai de téléphonie mobile fièrement planté comme un totem. Néanmoins, je me suis refusé à toute intervention numérique sur l'image. Ce que j'ai photographié, tout le monde pourra le voir, tel quel, sur le terrain. C'est l'Estérel tel qu'il existait au XIX ème siècle ou au cours des siècles précédents lorsque les anachorètes et les brigands s’y réfugiaient et que la maréchaussée n’osait s’y aventurer. Cet Estérel idéal existe, j'en témoigne.

 

 

l'exemple du parc du yellowstone
un jardin secret
le feu du magma
au temps des Oxubii
un travail de romain
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un repaire de brigands
le débarquement de 1944
le barrage de malpasset
tintin et l'île d'or

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