e s t é r e l - 5
l'exemple du parc du yellowstone
un jardin secret
le feu du magma
au temps des Oxubii
un travail de romain
les mystiques au désert
un repaire de brigands
le débarquement de 1944
le barrage de malpasset
tintin et l'île d'or
le barrage de malpasset
Je suis allé plusieurs
fois sur le site de Malpasset au bout de la D.37 après
les anciennes mines de Boson. Il faut franchir le Reyran à
gué, à pied ou en voiture (une trentaine de cm)
puis se garer un peu plus loin sous le pont de l'autoroute. De
là, on part au fond du vallon jusqu'aux vestiges du barrage.
Plus de 40 ans après, c'est encore la même impression
de désolation et d'apocalypse qui règne ici. Des
morceaux du barrage jonchent le parcours. Des blocs de béton
de la dimension d'une maison de 2 étages qui laissent
échapper des ferrailles torturées et rouillées
se dressent vers le ciel. Le vallon est assez encaissé
et l'on imagine sans peine la puissance inouïe des 50 millions
de mètres cube d'eau qui se sont déversés
ici lorsque le barrage a cédé emportant tout sur
son passage jusqu'à la mer, habitations, hommes, animaux
...
226
Un homme s'est trouvé
en toute première ligne de cette catastrophe. Il s'agit
d'André Ferro, le gardien du barrage de Malpasset. Sa
maison se situait à 2 km et demi en aval. Ce soir-là,
le 2 décembre 1959 à 20 h.50. il vient de rentrer
d'une tournée d'inspection au barrage. Tout semble normal.
Habituellement il va contrôler le niveau du lac trois fois
par jour. Il veille à ce que la côte 95 ne soit
pas dépassée. Il y a deux jours la côte a
déjà atteint le niveau 98 du fait des fortes précipitations
qui s'abattent sur la région depuis une quinzaine de jours.
Jamais le lac, long de 18 km, large de 3 km par endroits, n'a
été aussi plein. Dans ce cas il téléphone
au Génie Rural de Toulon qui lui donne le feu vert pour
"faire un lâchure". Il ouvre la vanne du déversoir
au pied de l'édifice qui mesure 60 m. de haut. 90 mètres
cube d'eau par seconde s'échappent du barrage. Dans 3
heures ce seront 300.000 mètres cube qui auront dévalé
les pentes du Reyran. Le niveau du lac n'aura baissé que
de 3 cm. Mais ce 2 décembre il sait que le barrage est
plein jusqu'au débordement malgré la vanne du déversoir
ouverte au maximum. Il est inquiet. Il s'apprète à
remonter au barrage pour s'assurer que tout est normal ... Il
est 21 h.13.
C'est à ce moment qu'il
entend "comme une sorte de grognement d'animal",
un craquement sinistre. Le sol vibre sous lui. Tout de suite,
le gardien comprend. Il crie : "Le barrage ! Vite ! Tout
va s'écrouler ! " Saisissant son petit garçon
déjà couché, il s'élance suivi de
sa femme vers le haut de la colline. Au-dessous d'eux, ils voient
déferler une première vague de 60 mètres
de haut qui a jailli du barrage et qui s'engouffre dans la vallée
du Reyran que franchissent, à peu de distance, les tronçons
de l'autoroute A8 en construction. Un paysan témoigne
: "J'étais chez moi au deuxième étage,
j'ai vu arriver la trombe d'eau qui me dominait de plusieurs
dizaines de mètres, encerclant la maison. Les murs ont
tenu. Quelques secondes plus tard, elle était passée,
mais le flot continuait à couler, dans lequel je pouvais
tremper mes mains. Au loin, la vague progressait à la
vitesse d'un cheval au galop et je voyais sur la route les phares
des voitures bousculées et traînées comme
des fétus de paille." Dans la vallée du
Reyran, en quelques secondes, 53 maisons sont détruites.
Il y a déjà près de 120 morts. Sept minutes
après la rupture du barrage, plusieurs millions de mètres
cubes d'eau et de boue envahissent les quartiers ouest de Fréjus
et se répandent dans la plaine. Dans une maison située
entre la route et la voie ferrée, un couple est réveillé
par le vacarme. La femme, assoupie, murmure : "C'est
le train." Le mari se lève, ouvre la fenêtre:
"A la place du train, et presque aussi vite que lui,
j'ai vu passer un arbre, un camion et des tonneaux entraînés
par un courant furieux qui montait presque aussi vite que du
lait dans une casserole." Les passagers du rapide Riviera-Genève
ont eu de la chance. Il s'en est fallu de peu que le train ne
déraille. Dix secondes après son passage en gare
de Fréjus, la déferlante arrache la voie ferrée
sur 2,5 km. Dix minutes après la rupture du barrage, la
vague atteint le centre de Fréjus totalement privé
d'électricité et de téléphone depuis
déjà 10 minutes, lorsque les deux centrales ont
été emportées par les eaux. Le gradé
de permanence à la gendarmerie s'est précipité
chez le curé : "Faites sonner le tocsin !"
Pendant que le tocsin retentit, la vague emporte tout sur son
passage. Les habitants qui le peuvent encore fuient. Les survivants
témoignent : "Dès que le tocsin s'est mis
à sonner, sans hésiter, j'ai poussé ma femme
dans la voiture et j'ai démarré. La vague nous
a rejoints et nous a projetés contre un mur.";
" J'étais couché avec ma femme quand un
voisin a cogné à la porte." "Malpasset
a cédé, a-t-il crié, l'eau arrive.";
"Nous entendions déjà le grondement de
la vague. Dans la rue, nous avons découvert une file ininterrompue
de voitures qui cherchaient à fuir dans la direction de
Saint-Raphaël. Nous avons tout abandonné et nous
sommes partis. Nous avons vu des gens qui, comme nous, avaient
juste pris le temps d'enfiler un pardessus sur leur pyjama."
Un quart d'heure après l'explosion du barrage, la vague
a atteint la mer. Elle n'a plus qu'une hauteur de 2 mètres
mais balaie encore une demi-douzaine d'avions de la base aéronavale.
A 21 h 40, la vague s'est perdue dans la mer, charriant toutes
sortes de débris et des dizaines de cadavres. Plusieurs
semaines après on connaîtra le bilan du cataclysme:
381 morts dont 135 enfants, 107 disparus, 1881 familles sinistrées,
104 maisons entièrement détruites, 700 endommagées.
La catastrophe laissera 79 orphelins désemparés
à la veille de ce Noël 1959.
Pourquoi cette catastrophe ?
Il faudra plusieurs années
d'enquête, deux rapports d'experts et de contre-experts
pour tenter de déterminer les responsabilités du
drame. Immédiatement un nom s'impose aux esprits, celui
d'André Coyne, l'ingénieur qui a conçu et
calculé l'ouvrage. Mais Coyne est très expérimenté.
Il a construit des centaines de barrages. L'entreprise chargée
des travaux, une trentaine. On incrimine la minceur de ce barrage
qui appartient à la catégorie des barrages dits
"à voûte mince". Le barrage de Malpasset
mesurait 6,50 m d'épaisseur à la base et 1,50 m
au sommet pour une hauteur de 60 m. Pour le comparer à
un ouvrage similaire, celui de Génissiat mesurait 100
m à la base et 9 m au sommet pour une hauteur de 104 m.
L'ingénieur Coyne avait opté pour un barrage à
voûte mince parceque c'était le plus fiable de tous
: "C'est une chose rare et sans doute unique dans l'art
de bâtir qu'un type d'ouvrage qui n'a jamais lâché,
dit-il. Malgré certaines apparences contraires,
la finesse et la légèreté des formes, les
fatigues élevées, la preuve est faite que le barrage-voûte
est le plus sûr de tous." Il avait toutefois émis
certaines réserves : "Le barrage-voûte est
une solution à écarter quand on craint si peu que
ce soit l'instabilité des rives, le risque d'éboulement,
la détérioration par l'air, la pluie, le gel, etc."
Les rives, tout se serait donc joué là ! Le barrage-voûte
appuie énormément sur les rives. En 1955 un universitaire
grenoblois a publié une étude dans laquelle il
écrit : "Le service du Génie rural construit
en ce moment un grand barrage voûte pour créer sur
le Reyran une retenue. Cet ouvrage est fondé sur des gneiss
micacés très altérés et tout à
fait impropres à la fabrication du béton."
En 1963, les envoyés spéciaux du journal Paris-Presse
écrivaient à la fin du mois de décembre
: "Les roches d'appui étaient fissurées
et inclinées vers l'aval. Des pluies exceptionnelles avaient
modifié la structure géologique. L'entreprise chargée
de la construction de l'autoroute au pied du barrage a fait exploser
des charges de plus de 350 kg de tolamite. Il n'y a pas eu de
malfaçons techniques." Au cours de son enquête
pour le Monde du 3 Décembre 1959, le lendemain
du drame, le journaliste Henri de Virieux écrit que la
rupture aurait pu être la conséquence des vibrations
provoquées par des tirs de mines lors de la construction
de l'autoroute Estérel-Côte - d'Azur à deux
kilomètres en aval du barrage. Et puis il y a le témoignage
d'André Ferro, encore plus accablant. Evoquant les tirs
de mines sur le chantier de construction de l'autoroute, il déclare
: "Il y avait des secousses terribles. Je voyais bouger
l'eau du lac au moment du tir. Je suis allé le dire sur
le chantier : vous tirez des charges à 80 mètres
de l'appui gauche du barrage." Or c'est bien l'appui
gauche qui a lâché. La roche, quoique de qualité
médiocre, était théoriquement suffisamment
solide pour résister à la poussée. Mais
une série de failles sous le côté gauche
du barrage, "ni décelées, ni soupçonnées"
pendant les travaux de prospection, mais constatées postérieurement
à la rupture du barrage, ont fait qu'à cet endroit
la voûte ne reposait pas sur une roche homogène,
selon le rapport des experts. Les vibrations des tirs de mines
ont-elles causé l'affaiblissement de l'appui gauche ?
Cet affaiblissement est-il dû à une cause naturelle
d'ordre hydro-géologique tel que des infiltrations d'eau
? On ne le saura sans doute jamais vraiment. L'arrêt de
la Cour de cassation a néanmoins conclu en 1967, après
maintes procédures, qu'" aucune faute, à
aucun stade, n'a été commise". Ce qui
a fait dire que "la nature avait préparé
un véritable piége" ... La tragédie
de Malpasset s'est ainsi refermée : 450 morts et pas de
coupable. D'un ouvrage humain, conçu, calculé et
construit par des hommes on a voulu faire une catastrophe naturelle
pour laquelle on ne pouvait relever aucune responsabilité
humaine.
tintin et l'île d'or

En
face du Cap Dramont et du port du Poussaï se trouve l'Ile
d'Or. C'est en 1897 que létat mit en vente
aux enchères publiques lIle, qui - selon Maupassant
- doit son nom à sa couleur (Sur l'Eau). L'adjudication
est prononcée en faveur de Monsieur Sergent, architecte,
au prix de 280 francs. Mais au cours d'une partie de cartes bien
arrosée, partie dont l'île est l'enjeu, elle change
de main : l'excentrique Docteur Auguste Lutaud en devient propriétaire.
Il y fait édifier une tour sarrasine et en 1912 au nez
et à la barbe du concert des nations, il s'auto proclame
"Roi des Roches battues par les flots"
: Roi de l'île d'Or, sous le nom dAuguste
1er. Il frappe monnaie, émet des timbres et organise une
fastueuse réception pour l'inauguration de son royaume
le 25 septembre 1913.
Deux de ces timbres ont été
retrouvés par un collectionneur sur des cartes postales
de 1910 et 1922 oblitérées à St. Raphaël
et Nice. Les timbres représentent la tour sarrasine et
portent l'inscription Insula Aurea (île d'Or en
latin) en bas et une inscription en arabe en haut (on le devine
sur ces reproductions de mauvaise qualité). A sa mort,
en 1925, l'urne contenant les cendres de Sa Majesté Auguste
fut scellée dans un rocher de l' île, face au sud.
Elle s'y trouve toujours. Pendant la guerre la tour a été
pillée et lors du débarquement de 1944 un incendie
l'a ravagée. Dans les années cinquante, il n'en
subsistait plus que les quatre murs extérieurs. En 1961,
François Bureau, ancien officier de marine, achetait l'île.
Il faisait reconstruire l'intérieur de la tour, aménageait
un débarcadère, apportait de la bonne terre et
y fit pousser des plantes grasses. Tous les jours, il faisait
le tour de son île à la nage. Il est mort le 16
août 1994, à 76 ans, au cours de sa séance
de natation. Ses cinq enfants et seize petits enfants continuent
à venir passer leurs vacances sur lIle dOr
qui est toujours une île privée.
La
silhouette déchiquetée de l'Ile d'Or a inspiré
à Hergé le décor d'une de ses BD, L'île
noire.
..... .....
Trois couvertures d'Hergé
L'histoire ne se passe pas en
méditerrannée mais en Ecosse. Voulant aider un
avion en difficulté, Tintin se fait tirer dessus. Poursuivant
ses assaillants, le célèbre reporter se retrouve
sur une île rocheuse sur laquelle un manoir isolé
a été édifié. La rumeur a répandu
le bruit qu'une bête mystérieuse en a fait son repaire.
En fait l'île abrite une bande de faux-monnayeurs. Après
diverses péripéties, Tintin mettra fin à
leurs activités et révelera au grand jour la véritable
nature de la bête.
Un internaute m'écrit : "Bonjour, Je suis Raymond
Magnan, né le 22 mars 1940 jour de tempête parait-il,
je ne m'en souviens pas, sur la plage de Camp Long dans ce qui
était l'Hôtel Robinson. Vous commettez un oubli
sur l'incendie de la tour de l'Ile d'Or, incendie dont je me
souviens très bien. Peut être avait-elle brûlé
lors du débarquement, en effet après la libération
elle était vide et en mauvais état. Mais, je ne
me souviens plus de l'année exacte, elle a aussi été
incendiée par une maladresse lors d'un feu d'artifice
un quinze août. Déjà à l'époque!
Je ne retourne plus qu'à contre coeur là bas, bien
que la maison de famille soit toujours là. Pas à
cause des incendies, mais de ceux qui les exploitent. Pourriez
vous raconter l'histoire des pinèdes qui couvraient les
collines derrière le Dramont et Camp Long et qui ont brûlé
dans les années 56 et suivantes, libérant ainsi
les terrains qui ont servi à construire plusieurs lotissements
puis Cap Estérel en toute contradiction avec la loi "Littoral"
qui existait déjà. Et en faisant disparaître
les vestiges romains et pré romains qui s'y trouvaient:
des traces d'ornières sur le chemin étaient là
où est le golf actuel, elles marquaient peut-être
le chemin des chariots qui chargeaient les pierres des carrières
(comme aux Caous?) sur des navires à l'abri dans la rade
d'Agay, au Pourousset, une svastika gravée sur une roche,
les accumulations et les lignes de pierres vers le menhir d'Ayre
Péronne, etc.. Il y avait déjà eu un précédent
avec la disparition du menhir de Vaissiéres pour faire
la place au camping caravaning. Curieusement les zones qui viennent
de brûler sont en limite des grands lotissements (Valescure,
la Bouverie et d'autres) et la disparition des arbres va permettre
d'étendre les zones constructibles. Regardez la carte.
Merci pour vos magnifiques photos.
PS : Mon grand père croyait que les cupules sur
le menhir représentaient des
constellations. On peut y voir la grande ourse sous un certain
éclairage, je
ne sais plus à quelle heure. J'ai essayé de l'illustrer
sur la photo jointe.
Je vous joins également une aquarelle du menhir
peinte par mon grand-père dans les années 30 :
Raymond Magnan, le 2 août 2003."
l'estérel, terre de cataclysmes
En
commençant cette présentation je disais que se
promener dans l'Estérel c'est sentir toute une histoire
tumultueuse et tourmentée encore présente. Les
quelques rappels historiques donnés dans les pages qui
précèdent ont contribué à le montrer,
je l'espère. L'Estérel n'est pas une terre de tout
repos. J'ai toujours l'impression que l'apaisement n'est que
temporaire et qu'à chaque instant de nouveaux cataclysmes
peuvent s'y déclencher. On y sent le volcanisme sournois
qui ne demande qu'à resurgir, les Oxubii dont les ombres
furtives se faufilent derrière les rochers, les Romains
qui tentèrent, orgueilleusement, de les soumettre, les
épidémies, les destructions, les guerres. Même
les pacifiques ermites ont été imités par
les brigands de grand chemin en élisant domicile dans
ses grottes pour préparer leurs attaques. Le "vent
aigre" passe sur ses hauteurs, s'insinue dans ses anfractuosités
et balaie les rumeurs des histoires anciennes. Les hommes ont
donné son nom, Vinaigre, au point culminant du
massif, pour rappeler que tout est chimérique sur cette
terre, que tout passe, comme "l'homme aux semelles de vent",
cher à Rimbaud. Il reste une terre inhospitalière,
ou seuls quelques marginaux ont pu survivre. Repaire de brigands
c'est un aussi un point de repère. C'est un refuge pour
l'imaginaire, une sorte de no man's land posé sur
une côte d'azur factice. C'est une enclave de nature et
de fantasmagories. C'est une chance que de tels espaces de liberté
existent encore. Puissions nous faire tout notre possible pour
les préserver.
l'exemple du parc du yellowstone
un jardin secret
le feu du magma
au temps des Oxubii
un travail de romain
les mystiques au désert
un repaire de brigands
le débarquement de 1944
le barrage de malpasset
tintin et l'île d'or
.
|